• Ei tuloksia

PARTIE III – RÉSULTATS D’ANALYSE

7.1 Éléments d’ouverture

7.2.2 Stratégies indirectes

Les stratégies indirectes conventionnelles comprennent l’interrogative simple, les formulations suggestives et les questions sur une condition de réussite (QCR) (v. 6.2.2 ou annexe 3). Les deux premières ne sont utilisées qu’irrégulièrement en français L1 et L2, mais la dernière stratégie est la plus importante dans tous les groupes d’informateurs (v. tableau 11 ci-dessus).

Cependant, nous pouvons constater une légère différence entre les locuteurs de français L1 et L2, car les premiers ont recours à cette stratégie plus souvent (80,9 %) que les derniers (L2-DEB 60,8 % < L2-INT 74,2 % < L2-AV 74,3 %).

La proportion des QCR augmente toutefois avec le niveau d’acquisition général, notamment du niveau débutant au niveau intermédiaire. La différence entre les taux d’emploi en français L1 et en finnois L1 est également importante, car les QCR sont utilisées en finnois L1 seulement dans 66,2 % des cas.

Cette différence dans l’emploi des QCR pourrait s’expliquer par le fait que les locuteurs du groupe L1-FI emploient l’interrogative simple plus souvent que les francophones : en finnois L1, 16,2 % de toutes les requêtes sont formulées à l’interrogative simple, mais il n’y a qu’une seule occurrence de cette stratégie en français L1. L’interrogative simple est employée en finnois L1 surtout dans les situations où le facteur dérangement est réduit (v. 5.2.2) et où la requête n’exige pas d’explications élaborées pour la justifier (les situations de service Café, Timbres, Paquet-cadeau et la situation domestique Sel). En voici quelques exemples :

(7.16) saisinks mä yhden kahvin mukaan kiitos avoir.COND.1SG.Q 1SG un.GEN café.GEN avec.ILL merci

‘aurais-je [= puis-je avoir] un café à emporter s’il te/vous plaît’ (FI16, Café)

(7.17) hei annakko ton suolan tuolta kaapista INT donner.2SG.Q DEM2.SG.GEN sel.GEN DEM2.LOC.ABL placard.ELA se löytyy sieltä ylähyllyltä

DEM3.SG se.trouver.3SG DEM3.LOC.ABL rayon.supérieur.ABL

‘hé donnes-tu [= tu me donnes] le sel du placard il se trouve au rayon supérieur’ (FI04, Sel)

Nous pouvons donc conclure que cette stratégie est routinière dans les situations de service en finnois L1, et qu’elle n’est pas transférée aux formulations utilisées par les locuteurs de FLE comme le montre le tableau 11.

Le transfert n’est même pas possible avec le verbe saada ‘avoir, recevoir’

puisque le français ne permet pas l’emploi de ce verbe avec la stratégie interrogative simple (cf. ex. 7.16). Cependant, d’autres verbes peuvent être utilisés (p. ex. « tu me passes/ le sel s'il te plaît » FR20, Sel), mais cette stratégie n’est pas courante en français L1 ni en français L2, au moins dans les données de la présente étude.

Examinons les questions sur une condition de réussite plus en détail. Les QCR peuvent porter sur la possibilité, sur la capacité, sur la permission, sur la volonté/les émotions, sur la disponibilité ou sur un verbe performatif (v. 6.2.2 ou annexe 3). Pour observer les préférences des groupes étudiés pour les différents types de QCR, nous avons calculé la distribution des sous-stratégies (figure 12 – NB : les pourcentages décrivent la proportion parmi les QCR, et non pas parmi toutes les stratégies utilisées).

Figure 12 Distribution des types de QCR (dans les six situations de requête analysées)

Nous pouvons effectivement constater que les différents types de QCR ne sont pas utilisés de la même manière par les groupes. La QCR de la capacité est la plus employée en français L1 et L2, tandis qu’en finnois L1, la QCR de la possibilité est la QCR la plus courante (v. figure 12). Il faut également noter qu’en français L1, les taux d’emploi pour la QCR de la possibilité et pour la QCR de la capacité sont plus ou moins les mêmes (35,5 % et 36,4 % respectivement), ce qui indique que la préférence pour un certain type de QCR n’est pas aussi forte. La QCR de la possibilité est moins utilisée en français L2 qu’en français L1 et en finnois L1. Parallèlement, les locuteurs de FLE utilisent plus la QCR de la permission que les locuteurs de français L1 et finnois L1 (L2-DEB 20,8 %, L2-INT 30,3 % et L2-AV 17,8 % vs L1-FR 8,2 % et L1-FI 15,6 %).

Les QCR de la volonté/des émotions, de la disponibilité et du performatif sont moins courantes parmi tous les groupes, mais il est à noter que la QCR de la volonté/des émotions s’utilise plus souvent en français L1 (13,6 %) qu’en français L2 (1,1–5,0 %) ou en finnois L1 (4,4 %).

Possib. Capacité Permiss. Volonté/

émotions Disponib. Perform.

L2-DEB (QCR n = 101) 23,8 46,5 20,8 5,0 4,0 0,0

L2-INT (QCR n = 89) 20,2 40,4 30,3 1,1 6,7 1,1

L2-AV (QCR n = 101) 19,8 57,4 17,8 3,0 1,0 0,0

L1-FR (QCR n = 110) 35,5 36,4 8,2 13,6 4,6 1,8

L1-FI (QCR n = 90) 47,8 31,1 15,6 4,4 1,1 0,0

0,0 10,0 20,0 30,0 40,0 50,0 60,0 70,0

Proportion des types de QCR employés (%)

L2-DEB (QCR n = 101) L2-INT (QCR n = 89) L2-AV (QCR n = 101) L1-FR (QCR n = 110) L1-FI (QCR n = 90)

Quant au développement en français L2, nous pouvons constater que le choix du type de QCR suit un développement non-linéaire qui d’abord s’approche et ensuite s’éloigne de l’emploi en français L1. Même si les locuteurs de FLE préfèrent la QCR de la capacité comme les locuteurs de français L1, cette préférence est bien plus forte dans le groupe L2-AV que dans d’autres groupes, et c’est le groupe L2-INT dont le taux d’emploi est le plus proche de celui des locuteurs de français L1 (L2-DEB 46,5 % > L2-INT 40,4 %

< L2-AV 57,4 % vs L1-FR 36,4 %). Comme nous l’avons indiqué, en français L1, les QCR de la capacité et de la possibilité sont utilisées plus ou moins dans la même mesure, mais en français L2, la deuxième QCR la plus populaire est la QCR de la possibilité dans les groupes L2-DEB (23,8 %) et L2-AV (19,8 %), tandis que dans le groupe L2-INT, c’est la QCR de la permission (30,3 %).

Nous avons également trouvé une différence qualitative au niveau des formulations de la QCR de la volonté/des émotions : les locuteurs de français L1 emploient la formulation est-ce que ça te/vous dérangerait de faire X de manière routinière notamment dans les situations Notes et Livre, dans lesquelles il s’agit d’emprunter quelque chose à l’interlocuteur, tandis que les locuteurs L2 ne l’utilisent pas une seule fois. Les locuteurs L2 débutants et intermédiaires ont recours à est-ce que tu veux/voudrais faire X ainsi qu’à l’inversion voudrais-tu et voulez-vous, tandis que certains locuteurs de FLE avancés utilisent les formulations est-ce que vous auriez la gentillesse de faire X et est-ce que ça vous arrange si. Les taux d’emploi restent cependant négligeables chez les locuteurs L2, et il est bien possible que ces deux dernières formulations soient liées à des préférences individuelles plutôt qu’à un niveau d’acquisition spécifique.

On peut résumer l’emploi des QCR comme suit : la formulation la plus courante parmi les QCR pour les locuteurs L2 débutants et intermédiaires est est-ce que tu peux/vous pouvez faire X, pour les locuteurs L2 avancés est-ce que tu pourrais/vous pourriez faire X73, pour le français L1 est-ce que tu pourrais/vous pourriez faire X et est-ce qu’il serait possible de faire X, et pour le finnois L1 olisiko mitenkään mahdollista, ‘serait-il possible par quelque moyen que ce soit’. Ce sont également les formulations les plus courantes en général, puisque la QCR est la stratégie la plus utilisée dans les données.

En ce qui concerne les stratégies indirectes non-conventionnelles, c’est-à-dire les allusions, il ne s’agit pas d’une stratégie couramment utilisée, comme nous l’avons vu au début de la présente section (tableau 11). Le Pair (1996 : 660) avance l’hypothèse que la méthode de collecte de données peut avoir un effet sur l’absence des allusions chez les locuteurs L1 : il se demande si les informateurs se sentent « obligés » de produire un énoncé qui est interprété comme une requête sans ambiguïté. Nous sommes encline à penser que cela est tout à fait possible. Il est toutefois à noter que les informateurs du groupe débutant ont recours aux allusions de manière plus systématique que les autres groupes : le taux d’emploi pour les allusions est de 9,0 % dans le

groupe L2-DEB tandis que les autres groupes étudiés emploient cette stratégie dans 0,0 à 2,5 % des cas. Les locuteurs de FLE débutants utilisent les allusions surtout dans les situations Notes, Livre et Musique :

(7.18) est-ce que tu as les notes pour ce: ce cours euhm parce que je: j'ai besoin de: <((rire)) les notes> euh j'ai été malade et je ne peux pas j'ai pu pas aller à le cours (D10, Notes)

(7.19) bonjour Philippe euh est-ce que vous avez le livre pour la dissertation euh il n'y a pas le livre dans le bibliothèque (D11, Livre)

(7.20) bonsoir bonsoir et: j'ai une exam et je dois étudier mais la musique c'est très forte (D06, Musique)

Ces exemples illustrent les différents types d’allusions : dans l’exemple (7.18), l’informateur demande si Maria possède les notes et donne une justification pour sa question, mais ne mentionne pas ce que Maria devrait faire avec les notes (bien que cela puisse être déduit assez facilement). Même si cette production contient une affirmation d’un besoin (« j’ai besoin de les notes »), elle est classée comme indirecte non-conventionnelle, car ces affirmations sont ambiguës dans des contextes qui ne sont pas essentiellement des situations de requête (Trosborg, 1995 : 208). Il est d’ailleurs difficile de dire quel est l’acte central dans cette requête – la question de possession ou l’affirmation d’un désir – ce qui est typique pour les allusions (v. 6.2.2). La requête dans l’exemple (7.19) est également formulée comme une question de disponibilité accompagnée d’une justification. Dans les deux cas, le locuteur mentionne l’objet dont il a besoin, mais il ne dit pas ce que l’interlocuteur devrait faire – par conséquent, ces requêtes sont classées comme indirectes non-conventionnelles. Dans le dernier exemple (7.20), la requête est plus opaque, car le locuteur signale qu’il y a un problème, mais ne demande pas à son interlocuteur d’agir.

L’avantage des allusions est qu’elles permettent au locuteur de faire agir son interlocuteur et, en même temps, de nier avoir fait une requête (Weizman, 1989 : 71–72). Cet avantage est cependant perdu si l’interlocuteur ne comprend pas l’intention du locuteur. Dans les exemples (7.18) à (7.20), cela n’est probablement pas le cas, car les requêtes contiennent suffisamment d’éléments pour que l’interlocuteur puisse déduire l’intention ciblée dans la situation en question. En revanche, une requête telle que « pardon Maria (.) tu as le: euh note dans le (.) dans le lecture/ » (D21, Notes) est susceptible d’être trop vague à cause de défauts langagiers et de la concision de la requête.

Il est effectivement possible que certains locuteurs L2 débutants aient recours aux allusions en partie à cause de lacunes dans leurs connaissances linguistiques (cf. Achiba, 2003 : 79) : ils comptent donc sur l’interlocuteur qui doit déduire l’intention du locuteur. Trosborg (1995 : 229–230) propose que les locuteurs L2 moins avancés ont tendance à avoir recours aux allusions parce qu’ils ne savent pas comment formuler la requête de manière appropriée – à cet égard, l’emploi de cette stratégie n’est pas intentionnel, mais

compensatoire. Hassall (2003 : 1922) et Bella (2012a : 1940) confirment cette observation, et nous sommes encline à interprêter certaines allusions utilisées par les locuteurs L2 débutants de la même manière.