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PARTIE II – MÉTHODOLOGIE ET DONNÉES

5.2 Données : le DCT oral et les entretiens rétrospectifs

5.2.2 Élaboration des situations de requête

En concevant les situations de requête, nous avons suivi certains critères. Tous ces critères, discutés dans la présente section, ont pour but de faciliter l’imagination de la situation pour les participants.

Premièrement, nous avons cherché à créer des situations que les informateurs reconnaissent parce que, selon Ogiermann (2018 : 235), les réponses aux DCT peuvent être moins authentiques si les informateurs doivent adopter des rôles qui diffèrent des leurs. Exiger que les informateurs réagissent aux scénarios comme ils le feraient permet également d’examiner les normes de la politesse de ces informateurs (Ogiermann, 2018 : 240). Par conséquent, nous avons demandé aux informateurs de réagir comme ils penseraient le faire dans les situations décrites, et cette décision nous a conduite à utiliser des situations de requête courantes dans la vie de tous les jours, comme celles qui se manifestent en situation de service. Selon notre

connaissance, ces types de situations ont été moins employés dans les DCT42 (cf. Ogiermann, 2018 : 240). En outre, étant donné que tous les participants sont des étudiants universitaires, nous nous sommes appuyée sur des situations que nous avons estimées comme courantes dans la vie universitaire.

Les deux types de situations institutionnelles ont été complétés par deux scénarios situés dans la vie privée. Ces trois environnements offrent une collection variée de situations de requête différentes.

Deuxièmement, tous les scénarios devaient être conformes à la culture française et finlandaise : les locuteurs de français L1 et L2 ont répondu en français en s’imaginant dans des situations qui ont lieu en France, tandis que les locuteurs de finnois L1 ont répondu en finnois, s’imaginant donc en Finlande. Nous avons fait une adaptation dans l’une des situations : dans la première situation, le magasin où il faut acheter des timbres est soit un bureau de tabac, soit un « R-kioski » d’après le pays où les participants s’imaginent être. Ces deux magasins se correspondent en ce qui concerne la variété des produits et la quotidienneté des interactions (v. Holttinen, 2016), ce qui fait que ces magasins ont un rôle similaire dans les sociétés française et finlandaise. Nous avons exclu l’achat d’une baguette dans une boulangerie (cf.

Holttinen, 2013, 2017), par exemple, parce que ce type d’achat n’a pas le même rôle pour les Français et les Finlandais : en France, on achète du pain frais à la boulangerie régulièrement, tandis qu’en Finlande, il y a bien moins de boulangeries et on y va plutôt pour une occasion spéciale. Une autre adaptation culturelle concerne la situation Livre dans laquelle le nom du professeur est donné : dans la version destinée aux informateurs répondant en français, il a un nom français (Philippe Martin), tandis que dans la version finnoise, il s’appelle Ville Martikainen.

Troisièmement, nous avons choisi des situations de requête que nous avons estimées courantes pour les participants : autrement dit, nous n’avons pas créé des situations assez rares dans la vie quotidienne. Le degré de la fréquence des requêtes varie toutefois entre les situations choisies, car il est probable que l’achat d’un café ait lieu plus souvent qu’une demande de prolongement de la date limite d’une dissertation, mais nous n’avons pas voulu inclure des situations exceptionnelles comme l’emprunt d’une large somme d’argent.

Quatrièmement, nous avons voulu inclure des situations qui varient en ce qui concerne les variables sociales comme le pouvoir (power) et la distance entre les interlocuteurs ainsi que le dérangement (ang. « imposition ») causé par la requête. Le terme pouvoir ou dominance se réfère à la dominance sociale des interlocuteurs : le facteur +P réfère à une situation où le locuteur a une position sociale supérieure comparé à son interlocuteur ou peut contrôler la situation (par exemple un directeur/une directrice ou un(e) client(e)), tandis que le facteur –P réfère à une situation inverse (par exemple un étudiant s’adressant à un(e) professeur(e), ou un vendeur/une vendeuse s’adressant à un(e) client(e)) (Hudson et al., 1995 : 4). La distance est liée à deux aspects

42 Les études de Bataller (2010, 2016) et de Wang (2011) en présentent des exceptions.

dans la relation des interlocuteurs : au degré auquel ils se connaissent et au degré auquel ils s’identifient l’un à l’autre – le facteur +D signifie que les interlocuteurs ne se connaissent pas ou n’ont pas d’objectif/de groupe commun, tandis que le facteur –D implique un certain degré de connaissance ou de solidarité entre eux (Hudson et al., 1995 : 5). Quant au dérangement, il correspond à l’inconvénient que la requête cause au destinataire : certaines requêtes ne lui en causent pas beaucoup, tandis que d’autres en causent plus.

Ces trois variables, selon Brown et Levinson (1987 : 74‒84), forment le poids (« weight ») de l’acte menaçant pour l’interlocuteur. Ils font cependant remarquer que les variables ne sont pas absolues, mais qu’elles dépendent du contexte et de l’interprétation des interlocuteurs (Brown et Levinson, 1987 : 74‒80). En outre, comme le font remarquer Watts et al. (2005 : 9), ces facteurs dépendent l’un de l’autre. Il faut donc garder une certaine réserve lorsque ces variables sont déterminées pour des situations de communication.

À partir des critères décrits ci-dessus, nous avons créé huit situations de requête. Les situations dans lesquelles le locuteur n’est pas supposé connaître son interlocuteur sont accompagnées d’une photo de son interlocuteur imaginé pour faciliter l’interprétation de la situation (cf. Lappalainen, 2019).

Voici les descriptions courtes des scénarios :

Situation 1 Timbres : Acheter deux timbres dans un bureau de tabac / un R-kioski (accompagné de la photo d’une jeune vendeuse)

Situation 2 Café : Acheter un café à emporter (accompagné de la photo d’un jeune barista)

Situation 3 Paquet-cadeau : Demander à une vendeuse de faire un paquet-cadeau (accompagné de la photo d’une vendeuse plus âgée)

Situation 4 Dissertation : Demander à une professeure de donner un délai supplémentaire pour une dissertation (accompagné de la photo d’une professeure entre deux âges)

Situation 5 Notes : Demander des notes de cours à une étudiante (accompagnée de la photo d’une étudiante)

Situation 6 Livre : Demander à un professeur qu’on connaît bien de prêter un livre (pas de photo)

Situation 7 Musique : Demander à un voisin de baisser le son de la musique (accompagné de la photo d’un jeune voisin)

Situation 8 Sel : Demander à un(e) ami(e) du sel en faisant la cuisine (pas de photo)

Les situations de requête accompagnées des variables qui y sont liées (v. dessus pour une discussion de ces variables) se trouvent dans le tableau 4 ci-dessous. Les descriptions des situations entières, comme elles ont été présentées aux informateurs, se trouvent en annexe 2.

Tableau 4. Les variables sociales des situations de requête (L = locuteur ; I = interlocuteur)

1 Timbres commercial féminin L>I inconnu réduit

2 Café commercial masculin L>I inconnu réduit

3

Paquet-cadeau commercial féminin L>I inconnu réduit

4 Dissertation académique féminin L<I connaissance grand

5 Notes académique féminin L=I connaissance grand

6 Livre académique masculin L<I connu réduit

7 Musique privé masculin L=I inconnu grand

8 Sel privé non déterminé L=I intime réduit

Même si nous avons voulu inclure des situations qui diffèrent selon les variables pouvoir, distance sociale et dérangement, nous n’avons pas pu créer un éventail de scénarios qui varie de manière systématique avec tous ces variables pour deux raisons. Premièrement, pour certaines combinaisons de variables (par exemple, L>I et I connu), il est difficile de trouver des situations qui seraient familières aux étudiants. Ogiermann (2018 : 234) affirme que les étudiants universitaires ont été le groupe social le plus examiné dans les études employant un DCT, mais que, par conséquent, les situations où le locuteur a plus de pouvoir que son interlocuteur imaginaire restent peu étudiées. Les chercheurs qui se sont concentrés sur l’étude des différences dans les stratégies de requête selon certaines variables ont résolu le problème par la création de scénarios dans lesquels les informateurs doivent s’imaginer être quelqu’un d’autre (p. ex. Le Pair, 1996 : 657). Dans la présente étude, nous avons toutefois voulu insister sur la fréquence et la familiarité des scénarios pour les informateurs. Par conséquent, les scénarios dans lesquels le locuteur a plus de pouvoir que son interlocuteur ont lieu en contexte commercial où le locuteur, autrement dit le client, prend l’initiative de l’interaction et « dirige les opérations » ‒ sans oublier cependant que le vendeur tient également un certain degré de pouvoir, car il est professionnel dans la situation (Kerbrat-Orecchioni et Traverso, 2008 : 20‒21).

Deuxièmement, la combinaison systématique de toutes les variables exigerait un grand nombre de scénarios (y compris des questions pièges pour

43 Ce facteur est déterminé par la photo qui accompagne la description. Dans la situation 6, il est déterminé par le prénom du professeur donné, et dans la situation 8, il n’est pas déterminé du tout.

44 La variable dérangement a été calculée de façon suivante d’après les réponses des informateurs : dérangement = moyenne (degré de facilité de faire la requête) + moyenne (degré d’intrusion pour l’interlocuteur). Comme les échelles pour les deux questions variaient entre 1 et 5, le minimum obtenu par cette opération est de 2 et le maximum de 10. Le dérangement a été considéré comme réduit lorsque la valeur obtenue a été inférieure à 5 (<5) et il a été considéré comme grand lorsque la valeur obtenue a été supérieure à 5 (>5).

avoir les réactions les plus spontanées possibles), ce qui causerait de la fatigue pour les informateurs et pourrait ainsi risquer la qualité des réponses.

Ogiermann (2018 : 235) admet que la variation systématique des variables (p.

ex. faire la même requête à un ami, à une amie, à un inconnu et à une inconnue) peut facilement provoquer des réponses mécaniques. En outre, même dans les scénarios où les variables pouvoir et distance sont bien définies, elles peuvent être interprétées différemment selon le contexte (p. ex.

public vs privé) et selon les expériences antérieures des informateurs (Ogiermann, 2018 : 235‒236). Nous ne ferons donc pas d’analyses statistiques systématiques entre les situations pour définir l’impact des variables spécifiques sur les formulations de requête, mais nous nous servirons des variables pour discuter des résultats de manière qualitative au sein de chaque situation de requête.

En ce qui concerne le facteur dérangement, nous avons fait quelques adaptations par rapport aux études antérieures. Dans la plupart des études qui ont tenu compte de la variable « imposition », le degré de dérangement a été défini préalablement par le chercheur avec une échelle binaire (« high » vs « low »). En réalité, le degré de dérangement – comme les autres facteurs, d’ailleurs – forme plutôt un continuum et l’interprétation des situations varie entre les individus examinés. Il est possible de vérifier l’interprétation des situations de requête en demandant le degré de dérangement aux informateurs soit avec une enquête préalable, soit dans la situation même.

Taguchi (2007), par exemple, a étudié l’impact des facteurs power (P), distance (D) et degree of imposition (R) sur la production des requêtes en comparant des situations « PDR-high » à des situations « PDR-low », et elle a employé une enquête assurant la division des scénarios dans ces deux catégories avant de mener des jeux de rôle. Pour nous, une telle division n’est pas nécessaire, mais nous considérons qu’il était important de demander aux informateurs comment ils interpréteraient chaque situation de requête. Une démarche similaire a été utilisée par Walkinshaw (2009) qui a étudié l’acte de désaccord chez les locuteurs d’anglais L1 et L2 par un DCT écrit. Il a demandé aux informateurs d’évaluer le degré de sévérité de chaque situation dans le DCT à une échelle de 1 à 3 pour détecter d’éventuelles différences culturelles et pour ne pas dépendre des interprétations personnelles, et il considère cette démarche comme un avantage de son étude (Walkinshaw, 2009 : 122, 245‒

246).

Par conséquent, nous avons demandé à tous les informateurs d’évaluer sur une échelle de 1 à 5 la facilité/difficulté avec laquelle ils feraient la requête (c’est-à-dire s’ils hésiteraient à faire la requête ou non – 1 correspond à une requête « très facile » et 5 à une requête « très difficile » à faire) et le degré (imaginé) d’intrusion de la requête pour le destinataire dans la situation (1 correspondant à une requête « pas intrusive du tout » et 5 à une requête « très intrusive »). À notre connaissance, ce type de division n’a pas été fait auparavant. La variable dérangement est donc divisée en deux parties séparées grâce à un commentaire fait lors des entretiens pilotes, car l’un des

informateurs a dit qu’il était difficile d’évaluer le degré de dérangement de la situation dans son ensemble – il est possible de se sentir mal à l’aise dans une situation de requête même si l’interlocuteur n’est probablement pas dérangé à cause de la requête. Les réponses obtenues nous ont montré que cela est en effet vrai : le degré de la difficulté avec laquelle les informateurs feraient la requête n’est pas toujours le même que le degré d’intrusion pour l’interlocuteur (v. tableaux 5 et 6 ci-dessous). Nous considérons donc que la variable dérangement est composé de deux sous-variables, difficulté et intrusion. Les estimations des groupes pour chaque scénario se trouvent dans les tableaux suivants.

Tableau 5. Difficulté sur l’échelle de 1 à 5 (moyenne [m] et écart type [é.t.]) par situation, estimation par les informateurs

Débutant

L2-DEB Intermédiaire

L2-INT Avancé

L2-AV Français

L1-FR Finnois

L1-FI Tous les groupes

n 21 15 17 17 17 104

1 Timbres m 1,10 1,20 1,12 1,12 1,06 1,11

é.t. [±0,30] [±0,41] [±0,33] [±0,33] [±0,24] [±0,32]

2 Café m 1,19 1,13 1,24 1,53 1,12 1,24

é.t. [±0,68] [±0,35] [±0,44] [±0,87] [±0,33] [±0,59]

3

Paquet-cadeau m 1,95 2,33 2,12 1,88 2,12 2,07

é.t. [±0,92] [±0,62] [±0,60] [±0,86] [±0,86] [±0,79]

4

Dissertation m 3,62 3,80 3,29 3,71 3,29 3,54

é.t. [±1,28] [±0,77] [±1,10] [±0,92] [±1,10] [±1,07]

5 Notes m 3,10 3,13 2,88 3,41 3,12 3,13

é.t. [±1,09] [±0,92] [±0,99] [±0,80] [±1,05] [±0,97]

6 Livre m 2,43 2,73 2,65 2,47 2,41 2,53

é.t. [±0,81] [±1,03] [±1,00] [±0,87] [±1,00] [±0,93]

7 Musique m 3,62 3,67 3,82 3,35 3,94 3,68

é.t. [±1,16] [±0,90] [±1,19] [±1,00] [±0,90] [±1,04]

8 Sel m 1,00 1,00 1,00 1,00 1,06 1,01

é.t. [±0,00] [±0,00] [±0,00] [±0,00] [±0,24] [±0,11]

Toutes les situations

m 2,25 2,38 2,44 2,31 2,26

é.t. [±1,35] [±1,28] [±1,57] [±1,26] [±1,31]

Tableau 6. Intrusion sur l’échelle de 1 à 5 (moyenne [m] et écart type [é.t.]) par situation,

Comme le montrent les tableaux 5 et 6, les situations Timbres, Café et Sel sont

« les moins dérangeantes » pour les informateurs puisque dans ces situations, la difficulté de faire la requête et l’intrusion pour l’interlocuteur restent réduites. Les situations Dissertation et Musique sont « les plus dérangeantes », car les informateurs ont considéré la facilité et l’intrusion comme plus importantes. Les scénarios Paquet-Cadeau et Livre se situent au milieu. Si nous observons les écarts types dans ces évaluations, nous pouvons constater que les informateurs ont répondu de manière uniforme notamment dans les situations Timbres et Sel, tandis que les opinions divergent dans les situations Musique, Livre, Notes et Dissertation. Dans les situations Timbres, Café, Paquet-Cadeau et Sel, le degré de difficulté et le degré d’intrusion sont plus ou moins les mêmes, tandis que dans les situations 4 à 7, le taux de la difficulté diffère de celui de l’intrusion. Cela implique que dans ces dernières, les informateurs hésiteraient à faire la requête, même s’ils estiment que l’intrusion causée par la requête ne serait pas très élevée. Nous nous référerons à ces évaluations ainsi qu’aux remarques faites pendant les entretiens rétrospectifs dans le chapitre 8 lorsque nous analyserons les différences situationnelles.