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PARTIE I – CADRE THÉORIQUE

4.1 Pragmatique de l’interlangue (PIL)

La présente étude se situe dans le cadre de la pragmatique de l’interlangue. Ce domaine présente des spécificités que nous examinerons brièvement dans la section 4.1.1. Ensuite, dans la section 4.1.2, nous discuterons le rôle de la

« norme native » dans la recherche de l’interlangue, parce que la majorité des études en pragmatique de l’interlangue comparent les productions en L2 aux productions en L1, et qu’il est essentiel de connaître les limitations de cette approche.

4.1.1 PRÉSENTATION DU DOMAINE

La pragmatique de l’interlangue (la PIL dans ce qui suit, en anglais interlanguage pragmatics) est une discipline hybride, car elle appartient aussi bien à la pragmatique générale qu’à la recherche en acquisition des langues secondes (la RAL dans ce qui suit, en anglais second language acquisition) (Kasper et Blum-Kulka, 1993 : 3 ; Félix-Brasdefer, 2016). En outre, comme le remarque Kasper (1992 : 204), ce domaine de recherche n’est né ni de la pragmatique générale ni de la RAL, mais de la pragmatique comparée (ang. cross-cultural pragmatics), d’où proviennent la tradition

théorique, les méthodes et les questions de recherche. Il est important de comprendre ce contexte historique pour saisir les spécificités du domaine.

Malgré cela, la PIL s’appuie également sur la RAL dans les types de recherche employés, car les études en PIL examinent le plus souvent les phénomènes pragmatiques dans la L1 des locuteurs L2, dans la langue cible de ces locuteurs telle qu’elle est utilisée par les locuteurs L1 de cette langue et dans la langue

« intermédiaire » des locuteurs L2. Cette dernière est appelée l’interlangue (interlanguage, Selinker, 1972), et elle présente typiquement des caractéristiques de la langue première et d’autres langues que le locuteur L2 connaît, mais également des caractéristiques qui n’apparaissent pas dans d’autres langues (Kasper, 2010 : 141). En général, l’interlangue est considérée comme perméable, dynamique et systématique, ce qui veut dire que les règles linguistiques à un niveau de l’interlangue ne sont pas fixes, que le locuteur L2 ne saute pas d’un niveau au suivant, mais que le changement est constant, et que l’interlangue contient des règles, ce qui montre qu’elle n’est nullement incohérente (Ellis, 1985 : 50‒51).

La PIL a été définie des manières suivantes, parmi d’autres : « the study of the development and use of strategies for linguistic action by non-native speakers » (Kasper et Schmidt, 1996 : 150) et « the study of how learners come to know how-to-say-what-to-whom-when » (Bardovi-Harlig, 2013 : 68‒69).

Ces deux définitions soulignent l’aspect développemental de la PIL, même si ce côté a été moins examiné : les études existantes se sont concentrées plutôt sur la description de l’usage de la langue chez les locuteurs L2 (souvent comparés aux locuteurs L1) que sur l’étude du développement de la langue, contrairement à la plupart des études en RAL (Kasper, 2010 : 141). Certains chercheurs distinguent entre la PIL (ang. interlanguage pragmatics) et la pragmatique développementale (ang. acquisitional pragmatics ou L2 pragmatics) dont la première comprend toutes les questions pragmatiques chez les locuteurs L2, tandis que la seconde est plus restreinte, car elle se concentre uniquement sur le développement de la compétence pragmatique (Bardovi-Harlig, 2013 ; Félix-Brasdefer, 2016 : 419). La présente étude s’inscrit dans cette dernière.

4.1.2 NORME NATIVE

La présente étude suit la tradition des études sur l’interlangue dans le choix des données : nous comparons des énoncés en finnois L1, des énoncés en français L2 produits par les locuteurs finnophones, et des énoncés en français L1 (cf. Selinker, 1972). Ce type d’approche permet une comparaison systématique des productions dans la L2 telle qu’elle est utilisée par les locuteurs L1 et L2 de cette langue (contrairement à l’approche où les chercheurs estiment le caractère « correct » des énoncés L2 à partir de leur propre compétence langagière) ainsi que la découverte des cas où la L1 des informateurs L2 semble influencer l’emploi de la L2 (Leech, 2014 : 266 ; v.

4.3.2). Cette démarche n’est cependant pas sans problèmes : comment choisir les locuteurs « natifs » qui produisent les énoncés en langue cible des apprenants et comment interpréter les « déviances » de cette norme ? Dans ce qui suit, nous discuterons la problématique de cette approche et également la distinction entre « natif » et « non-natif »20.

Comme le fait remarquer Barron (2003 : 75‒76), ce type de comparaison de trois groupes de données n’est pas une solution parfaite : il est très difficile de trouver trois groupes de locuteurs homogènes en ce qui concerne leur sexe, leur âge et leur classe sociale. Ces facteurs ont d’ailleurs un impact sur le degré de compétence des individus ayant la même L1 : certains locuteurs L1 sont illettrés tandis que d’autres ont suivi une formation académique supérieure (Dewaele, 2017 : 238). En outre, les « erreurs » et les malentendus sont courants également dans la communication entre des locuteurs L1 (Barron, 2003 : 75‒76), et ceux-ci ne forment pas un groupe homogène dans le sens où il existe des différences considérables entre les variétés régionales et sociales d’une langue (p. ex. Wierzbicka, 1985 : 146). Cela est le cas pour toutes les langues, mais en particulier pour les langues pluricentriques, comme l’espagnol, le français ou même le suédois. Dans le cas des langues pluricentriques ou langues véhiculaires (notamment l’anglais parlé comme une lingua franca), l’enseignant rencontre le problème de choisir la variété à enseigner.

La norme native a traditionnellement été l’objectif visé par le locuteur L2, mais quel est son rôle dans les interactions entre des locuteurs L2 ? Comme le fait remarquer Leech (2014 : 262), dans le cas de l’anglais dans la société moderne, les interactions exolingues sont de plus en plus courantes, et, par conséquent, la compétence d’un locuteur L1 n’est plus l’idéal que les locuteurs L2 devraient atteindre. En outre, il affirme que les locuteurs L2 avancés peuvent atteindre une compétence plus élevée que les locuteurs « natifs »21, ce qui veut dire que ce type de compétence sert mieux l’objectif de l’apprentissage.

Tout cela signifie que la comparaison des locuteurs « non-natifs » aux locuteurs « natifs » n’est pas sans ambiguïtés et qu’il ne faudrait pas considérer automatiquement le langage utilisé par les locuteurs « natifs » comme une norme parfaite. Nous utilisons les guillemets pour les termes

« natif » et « non-natif », car ils ont été critiqués (v. p. ex. Dewaele, 2017).

Il faut également prendre en considération les locuteurs L2 eux-mêmes pour connaître la perspective adoptée et leurs idées parce qu’il est possible qu’ils refusent de se conformer aux normes de la langue cible – momentanément ou de façon plus permanente (cf. Matsumura, 2007).

20 Nous rappelons que nous avons déjà évoqué la problématique du terme « natif » dans l’introduction de la présente étude.

21 Nous interprétons cette affirmation de manière suivante : les locuteurs L2 avancés peuvent atteindre une compétence plus utile et plus flexible pour des échanges exolingues que les locuteurs L1 de

Dewaele (2008 : 252) affirme que tous les locuteurs, L1 et L2, ont le droit de s’écarter de la « norme native », mais que les déviations de la norme sont interprétées différemment lorsque les locuteurs L2 les font : le même énoncé, comme un juron, par exemple, peut être considéré comme approprié pour un locuteur L1 mais inapproprié pour un locuteur L2 (v. Dewaele, 2008 : 252 pour un exemple concret). Nous nous demandons si cela est notamment le cas pour les déviations pragmatiques. Comme le constate Thomas (1983 : 96‒97), une déviation de la norme pragmatique est plus grave qu’une déviation de la norme grammaticale dans le sens où l’interlocuteur est plus susceptible de lier la première au personnage ou aux motivations du locuteur. Selon Thomas (1983 : 110), l’objectif de l’enseignant est d’assurer que les apprenants savent ce qu’ils font, mais ils ont le droit aux déviations pragmatiques. Finalement, il ne faut pas oublier que les déviations de la « norme native » produites par les locuteurs L2 peuvent être dues à des lacunes dans leurs connaissances, mais aussi à une résistance consciente ou inconsciente à cette norme, et que ces raisons restent difficiles à saisir par les chercheurs (Dewaele, 2008 : 254).

À notre avis, il est clair qu’une déviation de la « norme native » ne peut pas être considérée automatiquement comme erronée. Nous ne pouvons toutefois pas négliger ces normes puisqu’elles sont présentes dans les interactions entre les locuteurs L1 et L2 et qu’elles ont sans doute une influence sur la manière dont différents énoncés sont interprétés. Cependant, bien que les interlocuteurs puissent faire des évaluations en interaction à partir des normes, le rôle des chercheurs n’est pas d’évaluer l’influence interactionnelle des énoncés isolés. En effet, Barron (2003 : 77‒78) souligne qu’il faudrait adopter une approche descriptive et non-évaluative dans la pragmatique de l’interlangue. Dans la présente étude, nous cherchons à décrire les formulations de requête en français L2 et L1 sans les évaluer comme

« bonnes » ou « mauvaises » du point de vue normatif. Il est donc possible qu’une formulation de requête en français L2 ne corresponde pas tout à fait à celle(s) utilisée(s) en français L1, mais cela n’empêche pas qu’elle puisse fonctionner comme une requête efficace – et vice versa.