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PARTIE I – CADRE THÉORIQUE

2.1 Préliminaires théoriques

2.1.2 Les théories de la politesse

Pour pouvoir examiner la politesse, il faut d’abord faire remarquer que cette notion a des sens différents dépendant du contexte : plusieurs chercheurs signalent qu’historiquement et dans le langage de tous les jours, la signification de « politesse » est différente de son usage linguistique. Eelen (2001 : i) et Hickey et Stewart (2005 : 3) font observer que dans le langage quotidien, la notion de la politesse est liée aux concepts tels que la civilisation, les bonnes manières, la courtoisie et l’étiquette, tandis que la politesse en tant que terme linguistique concerne les aspects interpersonnels et pragmatiques de l’interaction, comme la préservation de la face des interlocuteurs (v. ci-dessous).

C’est pour éviter la confusion entre ces deux concepts que Watts et al.

(2005 [1992] : 3) font une distinction entre « first-order politeness » (qu’Eelen (2001) appelle « politesse1 ») et « second-order politeness » (« politesse2 » d’après Eelen), dont le premier renvoie aux usages quotidiens de ce terme et dont le second est réservé à la conception scientifique. Selon Eelen (2001 : 35), la politesse1 peut être divisée en trois sous-catégories : la politesse expressive (ang. expressive politeness1), la politesse classificatoire

(ang. classificatory politeness1) et la politesse métapragmatique (ang.

metapragmatic politeness1). La première renvoie à la politesse encodée dans le discours (p. ex. les termes d’adresse, les différentes formulations de requête, les excuses), la deuxième à la manière dont les interlocuteurs perçoivent le comportement des autres comme « poli » ou « impoli » et la dernière au discours autour de la notion de la politesse, c’est-à-dire à ce que les gens comprennent par la politesse (Eelen, 2001 : 35). La plupart des études sur la politesse se sont concentrées sur la politesse expressive et cela est le cas également pour la présente étude bien qu’elle comprenne également des aspects sur la politesse métapragmatique.

Même si la distinction entre la politesse1 et la politesse2 est essentielle pour les recherches sur la politesse, il n’est pas toujours facile de les séparer, surtout en pratique, et cette ambiguïté entre les deux concepts rend l’étude de la politesse un domaine complexe6. En outre, les chercheurs ne sont pas d’accord sur la définition même de la politesse2, autrement dit en quoi consiste la politesse en tant que terme linguistique (v. p. ex. Watts, 2003 : 49‒53). Malgré ces ambiguïtés, Kerbrat-Orecchioni (2011 : 134) signale que l’idée de base derrière toutes les définitions est que la politesse est liée à la gestion des relations personnelles et qu’elle couvre les comportements qui visent à la préservation de celles-ci.

Les premiers chercheurs importants pour le début de l’étude linguistique de la politesse étaient Goffman et Lakoff. Goffman (1967) a introduit les notions anglaises de face et facework qui ont influencé les théories postérieures. Goffman (1967 : 5) définit la face comme l’image sociale positive de soi-même que chaque locuteur essaye de faire reconnaître par les autres. La notion de facework, traduit par « la figuration » en français par Kerbrat-Orecchioni (2001b), renvoie aux actions qui servent à maintenir la face (aussi bien celle du locuteur que celle de l’interlocuteur) lors d’une interaction (Goffman, 1967 : 12). Quant à Lakoff (1973), elle a pris le principe de coopération (Cooperative Principle, CP) de Grice (1975) comme son point de départ et elle y a ajouté des règles de politesse (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 159‒160 ; Eelen, 2001 : 2‒3). Selon le principe de coopération de Grice, les locuteurs devraient suivre certaines règles lors d’une interaction : ces règles forment des maximes de la quantité (« soyez aussi informatif que nécessaire ; ne soyez pas plus informatif que nécessaire »), de la qualité (« dites seulement ce que vous croyez être vrai »), de la relation (« soyez pertinent ») et de la manière (« soyez bref et clair ; ne soyez ni ambigu ni obscur »). Il arrive cependant que les locuteurs violent ces règles – dans ce cas, les énoncés ont des significations implicites, des implicatures, que les interlocuteurs peuvent déduire. Selon Lakoff, les règles de politesse expliquent la violation des

6 Pour une discussion plus détaillée sur les différences entre la politesse1 et la politesse2 et comment ces notions sont liées aux théories de politesse, voir Eelen (2001 : 30‒86). Remarquons également que selon Watts (2003 : 9), ces termes sont inséparables et c’est la politesse1 qui doit être le point de départ

maximes de Grice. Le schéma suivant, adapté d’après Watts (2003 : 60), illustre les règles créées par Grice et Lakoff :

Figure 1 La compétence pragmatique et les règles de politesse selon Lakoff (d’après Watts, 2003 : 60)

Pour Lakoff, les règles conversationnelles (= le principe de coopération de Grice) sont au même niveau que les règles de politesse : cela implique que les règles conversationnelles peuvent être violées si le locuteur veut être poli (Lakoff, 1973 : 297 ; cité par Watts, 2003 : 60). Leech (1983) a également créé son principe de politesse (Politeness Principle) à partir du principe de coopération de Grice. Selon le principe de Leech, il faut réduire l’expression des opinions impolies au maximum et, parallèlement, maximiser l’expression des opinions polies (Leech, 1983 : 81). Les opinions polies et impolies sont des opinions qui sont, respectivement, favorables ou défavorables pour l’interlocuteur (ibid.).

La théorie de la politesse la plus connue est toutefois celle créée par Brown et Levinson (1978/19877). Cette théorie s’appuie surtout à la notion de la face, à l’origine développée par Goffman (1967), que Brown et Levinson ont

7La théorie a été publiée d’abord en 1978, mais elle a été republiée en 1987 avec une nouvelle introduction. Nous ferons référence à la publication de 1987, car c’est l’habitude établie dans ce domaine, et la nouvelle introduction contient également quelques critiques que Brown et Levinson présentent sur leur propre théorie.

divisée en deux : la face positive et la face négative. La face positive renvoie au désir d’être valorisé par les autres (« the desire to be approved of ») et la face négative au désir d’avoir la liberté d’action (« the desire to be unimpeded in one’s actions ») (Brown et Levinson, 1987 : 13, 62). L’idée principale de leur théorie est que lors d’une interaction, certains actes menacent la face du locuteur ou celle de son interlocuteur : il s’agit de Face Threatening Acts (FTAs), d’actes menaçants pour la face (Brown et Levinson, 1987 : 60, 65). Ces actes peuvent être classifiés de la manière suivante :

Tableau 1. Catégories des actes menaçants selon le modèle de Brown et Levinson (1987)

Acte menaçant pour la face du locuteur pour la face de l’interlocuteur pour la face

négative

actes qui consistent à accepter une dette ou à se rabaisser : expression

de remerciements,

positive actes qui fonctionnent contre le désir d’avoir un contrôle de soi et

de se respecter : excuses,

Les actes présentés dans le tableau 1 sont considérés comme intrinsèquement menaçants pour la face, et on y trouve également l’acte de langage examiné dans la présente étude, la requête, qui menace la face négative de l’interlocuteur par la restriction de sa liberté d’action. La liste des actes menaçants est longue, raison pour laquelle la théorie de Brown et Levinson a été décrite comme pessimiste : elle assume des menaces partout dans l’interaction (Kasper, 1990 : 194).

Quand un locuteur commet un FTA, il peut choisir entre différentes stratégies. Selon Brown et Levinson (1987 : 62), tous les locuteurs rationnels essayent d’éviter les FTAs ou utilisent différentes stratégies pour atténuer la menace. La première stratégie du modèle de Brown et Levinson, présenté dans la figure 2 ci-dessous, est de faire un acte menaçant d’une façon « brutale », sans réparation (« without redressive action, baldly »). Si le locuteur a recours à une stratégie moins brutale, il peut utiliser une stratégie de réparation (« with redressive action ») orientée vers la face positive (la deuxième stratégie) ou la face négative (la troisième stratégie) de l’interlocuteur. La quatrième possibilité est d’utiliser une stratégie cachée (ang. off record).

Figure 2 Les stratégies possibles pour faire un acte menaçant (Brown et Levinson, 1987 : 69)

Lorsque le locuteur décide de se servir de la politesse positive, il tient compte des désirs de l’interlocuteur et montre qu’il considère son interlocuteur comme membre de son groupe. Quant à l’emploi de la politesse négative, le locuteur prend en considération le désir de l’interlocuteur de garder sa liberté d’action et essaye de la limiter au minimum (Brown et Levinson, 1987 : 70).

Cette notion de la politesse positive/négative a été utilisée dans des recherches ultérieures pour décrire les comportements typiques pour certaines cultures (v. p. ex. Hickey, 2005 pour l’espagnol de l’Espagne ; Ogiermann, 2009a, 2009b pour l’acte d’excuse en polonais, en russe et en anglais britannique).

La théorie de Brown et Levinson a été utilisée dans de nombreuses études concentrées sur la politesse, notamment dans celles sur les actes de langage (p. ex. Ogiermann, 2009b ; Peterson, 2010), mais elle a également été largement critiquée. L’une des critiques les plus communes est que cette théorie est une réflexion des valeurs de la culture occidentale/anglo-saxonne, car elle présume un lien direct entre la politesse et les stratégies indirectes, bien que dans certaines cultures (comme dans les cultures russe et polonaise, par exemple), les stratégies directes soient considérées comme honnêtes (et non pas impolies) (Wierzbicka, 1985 ; Ogiermann, 2009a : 191‒192). Selon Terkourafi (2015), c’est plutôt le caractère conventionnel des formulations que leur caractère indirect qui détermine leur politesse : d’après elle, même les stratégies « on record », brutales peuvent être perçues comme polies lorsqu’elles sont devenues conventionnelles dans un contexte particulier (Terkourafi, 2015 : 16). Il a également été affirmé que Brown et Levinson n’ont pas utilisé le terme de face de Goffman de manière correcte et que leur interprétation est bien plus délimitée et individualiste que celle de Goffman (Watts, 2005 : xii ; Werkhofer, 2005 [1992]). En outre, la théorie de Brown et Levinson ne peut pas être utilisée pour l’étude des phénomènes de politesse dans les cultures orientales, car les notions de faces positive et négative ne peuvent pas y être appliquées (v. p. ex. Gu, 1990).

Do the FTA

on record

1. without redressive action

with redressive action

2. positive politeness

3. negative politeness 4. off record

Une critique présentée envers la théorie de Brown et Levinson est qu’elle présente l’interaction sociale comme fondamentalement dangereuse et hostile (p. ex. Kasper, 1990 : 194). D’après Kerbrat-Orecchioni (2001b : 73), « ainsi conçue, la politesse apparaît simplement un moindre mal : elle sert surtout à limiter la casse. » Pour rendre cette vision plus positive, Kerbrat-Orecchioni (2001b : 73‒77) introduit la notion des Face Flattering Acts (FFA), des actes valorisants pour la face d’autrui. Elle admet que le concept des FTA est justifié pour expliquer une grande partie des comportements « polis », mais qu’il existe également un nombre considérable d’actes de langage qui renforcent les faces au lieu de les menacer. Par exemple, Brown et Levinson considèrent les actes tels que les compliments comme des FTA pour la face du destinataire (l’acceptation d’un compliment menace la face positive de celui-ci, v. tableau 1 ci-dessus), tandis que, d’après Kerbrat-Orecchioni, ce sont avant tout des actes flatteurs pour la face du destinataire – bien que cet acte particulier présente une « double contrainte », car l’acceptation d’un compliment signifie une

« intrusion territoriale », mais le refuser serait un FTA pour le locuteur (Kerbrat-Orecchioni, 2001b : 77‒78). Kerbrat-Orecchioni justifie la notion des FFA également par le fait qu’ils ont tendance à être renforcés (p. ex. « merci beaucoup »), tandis que les FTA sont plutôt atténués.

Selon encore une autre critique, la théorie de la politesse de Brown et Levinson ne tient pas en compte de l’interaction non-marquée – autrement dit que selon cette théorie, un acte est soit poli, soit impoli sans forme intermédiaire même si dans une interaction la plupart des actions sont non-marquées (Locher et Watts, 2005 : 10‒11). En effet, Locher et Watts (2005 : 13‒14) affirment que la plupart des théories de la politesse ne prêtent pas attention au fait que l’interaction peut être neutre ou appropriée (« politic »).

Afin de décrire relational work, le travail interactionnel à l’aide duquel les interlocuteurs négocient leurs rôles sociaux lors de l’interaction et les comportements verbaux appropriés et inappropriés qui y sont liés, Locher et Watts (2005 : 12) proposent la distinction suivante :

Relational work marqué de façon

négative non-marqué marqué de façon

positive marqué de façon négative

impoli non-poli poli excessivement

poli

« non-politic » /

inapproprié « politic » / approprié « politic » / approprié « non-politic » / inapproprié Figure 3 Le modèle de ‘relational work’ de Locher et Watts (2005 : 12)

Selon leur modèle, la plupart du relational work est non-marqué et passe inaperçu dans une interaction – dans ce cas, il s’agit d’un comportement approprié (ang. politic). En ce qui concerne le comportement marqué, il peut

se manifester à trois niveaux différents. Si les interlocuteurs perçoivent un comportement comme impoli ou inapproprié, il s’agit d’un comportement marqué négativement. D’après ce modèle, un comportement excessivement poli est traité de la même manière qu’un comportement impoli par les interlocuteurs : dans les deux cas, il s’agit du comportement inapproprié. Un comportement marqué positivement peut être aperçu comme poli ou non-poli, mais il s’agit toujours d’un comportement approprié (Locher et Watts, 2005 : 11‒12). Le modèle de Locher et Watts souligne que tout dépend du contexte et que c’est l’interprétation des interlocuteurs qui détermine la politesse ou l’impolitesse d’un certain acte : par conséquent, aucune expression linguistique n’est fondamentalement polie ou impolie (Locher et Watts, 2005 : 16). À notre avis, cet aspect est essentiel dans les études sur la politesse linguistique, ainsi que la reconnaissance du fait qu’il n’existe pas seulement des comportements polis et impolis, mais également des comportements neutres.

Les chercheurs comme Lakoff, Leech et Brown et Levinson peuvent être décrits comme les chercheurs en politesse « de la première génération » : ils ont tenté de créer des modèles universels de politesse, mais ils ont été critiqués plus tard par des chercheurs qui ont étudié les cultures non-occidentales où les mêmes principes ne fonctionnent pas nécessairement, car la politesse est déterminée par les règles sociales plutôt qu’à partir de choix individuels (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 160 ; Kádár, 2017). L’un des problèmes de ces théories, qui toutes considèrent la politesse en tant que l’évitement des conflits, est qu’elles sont très simplistes, surtout en ce qui concerne leur universalité prétendue (Kasper, 1990 : 194).

Ces critiques sur l’universalité prétendue des premières théories de la politesse ont produit une vision opposée selon laquelle les interlocuteurs construisent la politesse dans chaque situation d’interaction. Par conséquent, les chercheurs de la deuxième génération (Watts, 2003 ; Locher et Watts, 2005 ; Linguistic Politeness Research Group, 2011 ; van der Bom et Mills, 2015) ont proposé une approche discursive sur la politesse : il s’agit d’étudier la politesse à partir de sa manifestation dans des interactions sociales particulières au lieu de tenter de créer des universels. Les chercheurs de politesse de la première génération ont souligné le rôle du locuteur dans les actes polis/impolis, tandis que la deuxième vague insiste sur les interprétations des interlocuteurs et le caractère idiosyncratique de la politesse.

Cette vue extrême sur le caractère éphémère et variable de la politesse a également été critiquée (Haugh, 2007), ce qui a donné naissance à la troisième vague des recherches sur la politesse. Cette dernière vague cherche à trouver des modèles pour la politesse applicables à travers des langues et des cultures sans oublier que la politesse est un phénomène qui se construit en interaction (Kádár, 2017).

Les fondations pour la présente étude se trouvent dans les théories de la politesse de la première vague : nous reconnaissons que l’acte de requête, par

exemple, peut souvent être menaçant et qu’il existe des « stratégies » différentes pour le rendre moins menaçant. Nous insistons cependant sur le fait qu’aucune formulation linguistique ne peut être fondamentalement polie ou impolie, et que le caractère indirect ne peut pas être rattaché à la politesse, mais que l’évaluation de la politesse dépend toujours du contexte et des locuteurs. En outre, nous sommes d’accord avec les chercheurs de la troisième vague dans la mesure où nous reconnaissons l’importance de l’interaction et l’impact des attentes culturelles des interlocuteurs. Dans le cadre du présent travail, nous n’évaluerons pas le caractère (im)poli de certaines formulations de requête, bien que nous proposions certaines interprétations possibles au niveau de la politesse lorsque les formulations de requête diffèrent considérablement entre les groupes examinés. En revanche, l’objectif principal de la présente étude est d’examiner les formulations linguistiques disponibles aux locuteurs de FLE aux différents niveaux d’acquisition ainsi que les différences qui peuvent se trouver dans les attentes des locuteurs francophones et finnophones sur les façons typiques ou socialement acceptables de faire des requêtes. Notre approche sur les formulations de requête est donc plutôt descriptive qu’évaluative.