• Ei tuloksia

4. D’autres phénomènes prosodiques de la contextualisation

4.3. Schéma >HBHB< ou « figure bousculante »

Le schéma >HBHB< ou « figure bousculante » constitue une sorte de variante de la figure ondulatoire (cf. 3) et du schéma é/s/p (la « figure à la boxe française » ; cf.

4.2). Ce schéma consiste en des montées et des chutes mélodiques successives associées à des variations parallèles de l’intensité. Les variations sont répétées au moment de la production de plusieurs mots successifs qui sont produits de manière enchaînée, sans pauses. Le segment affecté par les modulations de la F0 et de l’intensité est également marqué par une accélération importante du débit qui contribue, elle aussi, à la création du rythme « bousculant » par lequel le phénomène se caractérise. Les lettres H et B apparaissant dans le schéma >HBHB< symbolisent les montées (H – haut) et les chutes (B – bas) intonatives répétitives.

La figure (15) ci-dessous illustre la forme acoustique typique du schéma

>HBHB< (cf. V ; figure 4). L’occurrence a été prise dans l’interview de Jean-Paul Sartre (cf. tableau 1, n˚ 1).

163 L’interview de Jean-Paul Sartre a été transmise en 1973 et la causerie de Maurice Merleau-Ponty en 1948 (cf. tableau 1 ; n˚ 1 et 5).

164 Comme il est généralement connu, Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty étaient des contemporains (nés en 1905 et 1908), des amis et des collègues. Ils ont été notamment élèves à l’École normale supérieure et rédacteurs des Temps modernes à la même époque. Notamment pour ces raisons, il ne serait pas étonnant que ces deux locuteurs partagent quelques traits idiolectaux.

165 Cette partie est basée sur V ainsi que sur un poster que nous avons présenté au ‘Colloque RRR – Répétitions, Reprises et Reformulations’, organisé à Paris (France) le 1er et le 2 avril 2005.

Figure (15) : Forme acoustique (signal, courbe d’intensité, spectrogramme et courbe de F0) d’un segment marqué avec le schéma >HBHB< (« figure bousculante »). (Corpus n˚ 1)

Dans le segment illustré dans la figure (15) ci-dessus, la F0 monte d’abord de 5,2 dt pendant le mot ‘plus’ et redescend immédiatement après à un niveau inférieur de 7,7 dt. Au moment de la production du mot suivant, ‘eu’, la F0 remonte d’abord de 4,3 dt et redescend ensuite de 1,3 dt à l’intérieur du même mot monosyllabique. Le mot ‘comme’, quant à lui, porte une montée mélodique de 4,3 dt par rapport à la fin du mot précédent (‘eu’). Le mot ‘but’, qui est le dernier élément du segment marqué, porte une variation montante de 2,7 dt par rapport au mot ‘comme’.

En plus des montées mélodiques répétitives, le segment marqué est affecté par des variations d’intensité ainsi que par une accélération du débit. Lors de la production de ce segment, la moyenne d’intensité est de 6,5 dB166 plus élevée que dans l’entourage précédent et de 8,6 dB de plus que dans l’entourage suivant. Au moment de la production de ce segment, le débit est de 7,3 s / sec, tandis que le débit moyen dans l’ensemble du tour en question est de moins de 4 s / sec.

Le schéma >HBHB< constitue un moyen prosodique pour souligner une négation et pour indiquer sa portée. Il constitue également un signe conclusif.

Comme le schéma é/s/p (cf. 4.2), la « figure bousculante » sert aussi à augmenter la valeur informative de ce qui est dit et à indiquer une forte adhésion personnelle de l’énonciateur. Les fonctions discursives du phénomène sont illustrées par l’extrait (10) ci-dessous (cf. V ; exemple 4)167 : partie divergente de la réponse de l’interviewé. En effet, l’interviewé donne ici une réponse qui est en partie concordante et en partie divergente par rapport à ce qui a été proposé dans la question de l’intervieweur (lignes 01–04) : l’interviewé est d’accord sur le fait qu’il devait, à l’origine, devenir professeur de lettres, mais il nie le point de vue de l’intervieweur selon lequel il aurait à proprement parler cherché à unir la littérature et la philosophie. La figure HB (cf. 2), portée par les mots ‘tout’ et ‘ça’

(ligne 07), sert à marquer la fin du premier TCU qui constitue la partie concordante de la réponse et une sorte de « pré-réponse » (cf. 2.2.2, II, Lehtinen 2006b) ou un plusieurs traits prosodiques168 introduit la position différenciée du locuteur (Morel &

Danon-Boileau 1998 : 118 ; Ducrot 1972 : 271). Plusieurs procédés de mise en relief

166 Le niveau sonore de l’enregistrement original ayant été très faible dans ce passage, le niveau d’intensité y a été manipulé. Pour cette raison, nous ne donnons pas ici de valeurs absolues, mais uniquement des valeurs relatives illustrant les ampleurs des variations (qui n’ont pas changé dans la manipulation du son).

167 Le fichier sonore qui se trouve sur le DVD en annexe inclut seulement les lignes 05–11 de la transcription de cet extrait.

168 Hausse d’intensité, niveau sonore élevé, allongement vocalique, deux respirations longues, pause silencieuse et pause remplie avec la vocalisation ‘euh’

apparaissent au début de cette partie rhématique de la réponse : 1) les pics mélodiques vers le haut portés par les mots ‘cours’ et ‘route’ (ligne 08) soulignent l’importance sémantique de l’expression concernée, 2) la figure HB, portée par le segment ‘changé que’ (ligne 08) et suivie d’une courte pause, met en valeur le point d’articulation syntaxique avec lequel elle coïncide et implique une détermination et une forte adhésion du locuteur, 3) la montée mélodique et la hausse d’intensité portées par le mot ‘lettres’ (ligne 09), ainsi que le rabaissement du niveau sonore qui le précède immédiatement, produisent un effet de mise en relief qui sert d’un côté à souligner l’importance sémantique du mot en question et de l’autre à mettre en place une opposition (celle entre ‘professeur de lettres’ et ‘professeur de philosophie’).

La démarcation par le schéma >HBHB< (ligne 10) est produite (cf. figure 15) lorsque la négation ‘ne – plus’ apparaît pour la deuxième fois dans le même TCU.

D’abord, les mots ‘plus’ et ‘eu’ sont marqués par des variations prosodiques similaires : ils comportent chacun une brève montée et une chute mélodiques couplées à des variations parallèles de l’intensité. Ensuite, les mots ‘comme’ et ‘but’

sont mis en relief par des hausses d’intensité, et le mot ‘but’ est en plus prononcé mélodiquement plus haut que son entourage. Le segment marqué constitué par ces quatre mots est également affecté par une accélération du débit. La succession rapide des variations de mélodie et d’intensité, associée à un débit accéléré, a pour conséquence le rythme « bousculant » par lequel se caractérise le phénomène. Ce rythme, quant à lui, donne à ce qui est dit un ton insistant. Ce ton sert à souligner la négation à laquelle le schéma prosodique est intimement lié ainsi qu’à impliquer une forte adhésion personnelle du locuteur. Le poids informatif du dire est fortement mis en valeur, et tout comme le schéma é/s/p, ce phénomène constitue donc un signe conclusif et il met en place un cadre coénonciatif contraignant ; en effet, ce type de prosodie rendrait difficile toute opinion divergente de la part de l’interlocuteur.

Par conséquent, d’un côté, cette « figure dite bousculante » a un effet modal sur ce qui est dit au moment de sa production et ses effets portent donc aussi sur la suite de l’échange. Mais d’un autre côté, ce phénomène renvoie aussi vers l’amont : tout en construisant une sorte de conclusion pour ce qui a été dit sur le sujet abordé, il a une fonction anaphorique servant à rassembler l’ensemble du tour sous sa portée modale.

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le schéma >HBHB< ne constitue pas vraiment un phénomène indépendant, mais plutôt une variante de la figure ondulatoire (cf. 3) et du schéma é/s/p (cf. 4.2). La forme acoustique de ce phénomène varie aussi selon le contexte ; par conséquent, ses occurrences ne peuvent pas être comptées d’une manière fiable. En tout cas, en raison de la spécificité du contexte exigé, les occurrences de ce phénomène sont peu nombreuses et nous en avons trouvé uniquement dans l’interview de Jean-Paul Sartre (cf. tableau 1, n˚ 1).