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4. D’autres phénomènes prosodiques de la contextualisation

4.1. Schéma é\m\é ou « contour creux »

4.1. Schéma é\m\é ou « contour creux »142

Sur le plan acoustique, le schéma é\m\é ou « contour creux » se caractérise par des chutes mélodiques (chutes de F0) couplées à des diminutions simultanées du niveau d’intensité. Ces « phases creuses » sont typiquement portées par des mots grammaticaux ou par de courts segments génériques apparaissant au milieu d’un énoncé, d’où le schéma é\m\é, énoncé\mot\énoncé143. Les chutes de mélodie et d’intensité sont immédiatement suivies de remontées considérables des deux paramètres. La production répétée144 de ces variations a pour conséquence un rythme

142 Cette partie est principalement basée sur V ainsi que sur un poster que nous avons présenté au

‘Colloque RRR – Répétitions, Reprises et Reformulations’, organisé à Paris (France) le 1er et le 2 avril 2005.

143 Les barres obliques descendantes \ \ signifient que l’élément lexical qu’elles entourent est prononcé plus bas que son entourage (cf. conventions de transcription à la fin de ce volume).

144 Bien que ce phénomène consiste en une répétition de certaines formes acoustiques, la durée ne semble pas constituer un paramètre essentiel dans la création de l’effet marqué : en effet, dans le cas de ce schéma, l’impression de répétition ne semble pas être créée par la récurrence des variations à intervalles temporels identiques, mais plutôt par la récurrence systématique (ou perçue comme telle) de ces variations lors de la production de certains éléments discursifs. Autrement dit, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre sur la base d’autres travaux (Auer, Couper- Kuhlen & Müller 1999 ; Pasdeloup 1991 ; Simon & Grobet 2005 ; III), dans le cas de ce phénomène, les positions des chutes

marqué qui porte, le plus souvent, sur l’ensemble du TCU. La figure (13) ci-dessous illustre une séquence comprenant deux occurrences du « contour creux » (cf. V ; figure 1). L’extrait a été pris dans l’interview de Jean-Paul Sartre (cf. tableau 1 ; n˚ 1).

Figure (13) : Forme acoustique (signal, courbe de F0 et courbe d’intensité) d’un segment marqué avec le schéma é\m\é (« contour creux »). (Corpus n˚ 1)

Dans la séquence présentée dans la figure (13) ci-dessus, il y a donc deux occurrences du « contour creux » : la première est portée par l’article indéfini ‘une’

et la deuxième par le segment générique ‘que l’homme’. Les niveaux de F0 et d’intensité sont dans les deux cas nettement rabaissés par rapport à l’entourage. En plus, ces chutes intonatives145 sont très symétriques l’une par rapport à l’autre (différence de ± 0,1 dt et de ± 0,2 dB) : en effet, pendant la production de

intonatives ne se définissent pas par rapport à la durée des intervalles qui s’intercalent entre elles, mais plutôt par rapport aux rôles discursifs des éléments lexicaux qui les portent.

145 Le terme ‘chute intonative’ est employé ici pour englober les chutes des deux paramètres (F0 et intensité).

l’article ‘une’, le niveau de F0 est de 60,08 Hz146 (–8,5 dt) et le niveau d’intensité est de 46,2 dB, les niveaux correspondants étant de 61,4 Hz (–8,4 dt) et de 46,4 dB pendant la production du segment ‘que l’homme’. L’intervalle temporel entre les chutes est de 0,5 sec.

Dans ce contexte, il y a également d’autres traits prosodiques qui constituent des indices de contextualisation parallèles aux chutes intonatives saillantes.

Premièrement, le segment en question est marqué par un débit ralenti : le débit y est seulement de 3,5 s / sec, ce qui est nettement inférieur à la moyenne du locuteur, qui se situe autour de 5 s / sec. Deuxièmement, la première chute intonative (portée par le mot ‘une’) est immédiatement précédée par un allongement consonantique très saillant (cf. extrait 8 plus bas), et la deuxième chute (portée par le segment ‘que l’homme’), quant à elle, est presque immédiatement suivie d’une inspiration très longue et très clairement audible (cf. extrait 8 plus bas). Il s’agit donc, ici aussi, d’une accumulation de traits et non pas d’occurrences « solitaires » (c’est-à-dire des occurrences non associées à d’autres indices parallèles) des figures prosodiques étudiées.

Les fonctions discursives du « contour creux » (ou du schéma dit é\m\é), sont avant tout modales : d’un côté, ce phénomène met en valeur les mots sémantiquement pleins qui suivent les segments rabaissés, et de l’autre, le phénomène véhicule typiquement une nuance modale soulignant l’indéfinitude référentielle et le faible engagement personnel de celui qui parle. Le phénomène apparaît souvent – mais pas toujours – dans des contextes comprenant une négation.

Les fonctions discursives de cette figure prosodique sont illustrées ci-dessous à l’aide d’un extrait comportant deux occurrences successives (cf. V ; exemple 1). Les mêmes occurrences sont présentées plus haut dans la figure (12). L’extrait en question a été tiré de l’interview de Jean-Paul Sartre (cf. tableau 1, n˚ 1).

Extrait (8) (Corpus n˚ 1) :

Dans cet extrait, l’article indéfini ’une’ (ligne 05) et peu après le segment générique

’que l’homme’ (ligne 05) sont prononcés en plage basse avec très peu d’intensité : ces éléments tombent donc dans un « creux intonatif ». La valeur informative de ces unités rabaissées est peu importante : les éléments grammaticaux ‘une’, ‘que’ et ‘l(e)’

(ligne 05) servent uniquement d’outils morphosyntaxiques dans l’énoncé en question, et le mot ‘homme’ (ligne 05), tiré de la question de l’intervieweur (ligne 01), a dans ce contexte une valeur générique. En revanche, les mots qui apparaissent immédiatement après les chutes intonatives sont essentiels sur le plan informatif. En effet, les « creux intonatifs » précèdent le nom ‘qualité’ (ligne 05) et le verbe ‘avoir’

(‘a’, ligne 05) et contribuent ainsi à la mise en relief de ces éléments lexicaux qui sont, en plus, soulignés par d’autres moyens prosodiques : la première syllabe du mot

146 Comme il s’agit ici du niveau absolu de la F0 (et non pas des ampleurs des mouvements de la F0), la valeur est indiquée d’abord en hertzs (la valeur en demi-tons est donnée entre parenthèses pour faciliter la comparaison des niveaux mélodiques des segments rabaissés).

‘qualité’ ainsi que le mot monosyllabique ‘a’ portent chacun un pic mélodique vers le haut et ces deux syllabes sont également prononcées avec beaucoup d’intensité.

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, ce type de démarcation prosodique apparaît souvent dans des contextes comprenant une négation. Ici aussi, le phénomène est lié à une négation (lignes 04–05). En effet, selon nous, une des fonctions essentielles des occurrences du schéma é\m\é consiste ici à indiquer la portée de cette négation. Les variations intonatives indiquent que la négation concerne aussi bien le nom ‘qualité’ que le verbe ‘avoir’ : « la liberté n’est pas une qualité (sous-entendu : elle a une autre définition) que l’homme a (c’est-à-dire : l’homme ne la possède pas) ». Si les variations prosodiques concernaient uniquement le nom ‘qualité’ et non pas le verbe ‘avoir’, la négation devrait, selon nous, être interprétée différemment. Dans ce cas, l’interprétation suggérée par les indices de contextualisation serait plutôt : « la liberté n’est pas une qualité que l’homme a » (autrement dit : la liberté est éventuellement une qualité, mais l’homme ne la possède pas). D’un autre côté, si seulement le mot ‘qualité’ était marqué et que ‘a’ ne le soit pas, l’interprétation suggérée serait : « la liberté n’est pas une qualité que l’homme a » (autrement dit : la liberté n’est pas une qualité, mais il s’agit tout de même de quelque chose qui appartient à l’homme).

En plus des fonctions mentionnées plus haut consistant à souligner certains mots et à indiquer la portée de la négation, le schéma é\m\é véhicule ici, selon nous, une nuance modale mettant en évidence la nature indéfinie de ce qui est dit.

Autrement dit, il contribue à présenter ce qui est dit comme une sorte d’illustration exemplaire ; deux propriétés qui pourraient éventuellement être attribuées à la notion de liberté par quelqu’un d’autre sont – à titre d’exemple – niées par le locuteur. Les propriétés que représentent la nature de la qualité et l’aptitude à la possession sont mentionnées comme des exemples négatifs parmi plusieurs propriétés possibles.

Ainsi, la fonction du phénomène est, dans un sens, paradoxale : d’un côté, il sert à mettre en valeur la position soutenue par le locuteur, mais de l’autre, ce qui est dit porte une certaine nuance d’indéfinitude référentielle. Ce paradoxe pourrait éventuellement être expliqué comme suit : la démarcation prosodique sert ici à mettre en valeur la position du locuteur, mais parallèlement, elle sert à indiquer que la formulation linguistique de ce qui est dit est dans une certaine mesure aléatoire, et de ce fait, dépourvue d’une forte adhésion personnelle du locuteur.

A la différence des autres phénomènes inclus dans le chapitre (4), le schéma é\m\é (ou « contour creux ») apparaît dans l’ensemble du corpus étudié et il y est, en fait, encore plus fréquent que les deux phénomènes principaux. Le tableau (5) ci-dessous présente les nombres d’occurrences et les chiffres de fréquence de ce contour dans les différentes parties du corpus étudié :

Corpus Nombre du schéma é\m\é (« contour creux ») dans les émissions étudiées

Comme on peut le voir dans le tableau (5) ci-dessus, le schéma dit é\m\é comporte 248 occurrences dans le corpus étudié et sa fréquence moyenne y est de 1,5 occurrence par minute. Il est cependant à noter que dans le cas de ce phénomène, chaque rabaissement intonatif – et non pas l’ensemble des variations répétées – a été compté comme une occurrence individuelle. Dans un certain sens, cela a pour conséquence de donner une image biaisée de la fréquence « réelle » de ce phénomène qui consiste typiquement en des groupes de rabaissements intonatifs répétés (cf. plus haut). Pour deux raisons, cette manière de compter les occurrences nous semblait cependant être la seule possible :

A) Les durées des intervalles entre les rabaissements mélodiques peuvent varier considérablement selon le contexte d’occurrence, et ces rabaissements ne constituent pas des groupes très clairs et intégraux (comme c’est le cas, par exemple, des montées mélodiques de la figure ondulatoire) ; en effet, souvent, il serait difficile de définir s’il s’agit d’un seul groupe ou de plusieurs groupes successifs.

B) Bien que le schéma é\m\é consiste typiquement en des rabaissements intonatifs répétitifs, ce phénomène peut, dans certains contextes, consister en une seule chute intonative (dans ces cas, cette chute est particulièrement saillante sur le plan acoustique et en plus, elle est souvent associée à d’autres indices prosodiques147, paralinguistiques148, lexicaux149 et/ou morphosyntaxiques150).

Le schéma é\m\é apparaît dans toutes les émissions étudiées. Les occurrences de cette figure prosodique n’ont cependant pas pu être comptées dans la causerie de

147 Par exemple à une (des) pause(s) silencieuse(s) ou à une (des) pauses remplie(s) (Candea 2000 ; Lehtinen 2006a)

148 À un changement de la qualité de la voix, à une inspiration clairement audible, etc.

149 Notamment à un (des) pronom(s) indéfini(s) ou à une (des) particule(s) discursive(s)

150 À la répétition des éléments syntaxiques, etc.

Gaston Bachelard (cf. tableau 1, n˚ 6) puisque le niveau mélodique général est tellement bas dans cette émission que le « contour creux » (le schéma é\m\é) n’y constitue pas un phénomène suffisamment marqué pour que ses occurrences puissent y être comptées d’une manière fiable.

Les occurrences du schéma é\m\é représentent 38,5 % de l’ensemble des figures marquées retenues dans le corpus étudié (cf. tableau 2). Malgré la fréquence élevée de ce contour, il n’a pas été considéré comme un des phénomènes principaux de notre thèse pour deux raisons majeures (cf. aussi les remarques A et B plus haut) : 1) L’effet marqué créé par ce contour n’est pas très fort ; dans un certain nombre de cas, il est même difficile de dire s’il s’agit vraiment d’une figure marquée ou s’il s’agit, en fait, d’un rabaissement mélodique non marqué lié à l’accentuation normale du français.

2) La forme acoustique de ce phénomène est très variable (notamment par rapport aux ampleurs et aux durées des chutes de mélodie et d’intensité) ; en effet, la variation intercontextuelle est tellement importante qu’il n’est pas toujours facile de dire s’il s’agit en fait des occurrences du même phénomène.