• Ei tuloksia

3. L A SUBJONCTIVITE EN FINNOIS

3.3. Le jussif virtuel

3.3.1. Le sémantisme et les emplois du jussif

3.3.1.1. La troisième personne de l’impératif

Comme le jussif fait appel à la troisième personne, il ne permet pas de mettre en évidence l’interlocuteur, contrairement à la deuxième personne de l’impératif. Observons l’exemple (171), pour rendre compte de la disposition référentielle produite par le jussif. La troisième personne du singulier réfère ici à un participant qui est présent dans la situation de l’énonciation, usage qui n’est pas limité au jussif, mais qui a été reconnu au sein des emplois des pronoms de la troisième personne et des formes verbales indicatives (v. p. ex.

Seppänen 1998).

Dans cet extrait d’entretien, l’informatrice raconte une situation où sa nièce (Milja) et le fiancé de celle-ci (Martti) lui demandent de leur rendre visite.187

(171) LaX, Savitaipale

1 I : nyt sem peräst toas ku meä käin nyt tuol ku(h) .h 2 tul' se (.) Milja sulhanekii ja patistiit minua 3 Rätäkkää ni et vaik sinne o- sanottu viistoist

4 kilometriä oleva ni, .h (se tek-) tul' siint Moantakaa 5 mon- minua hakemaa kuule ku sai (läht-) veivät sinne ni, 6 .mth Moantakaa mut- (.) se sano miule(h)(.) Miljakii 7 juoks ni et .hh et lähtööks vanhaäit tuol ja,

8 .h et tul't seä vua Rätäkkää kattomaa mei

9 paikkoja ni, (.) no se sulhane se Martti sano voa 10 niin ikään et se o vanhaäiti sen ko lähteköö et 11 sen ku myö tulloa oamul hakem-=>ne tul'

12 Moantakoa (mu hakemoa)< ja meä käi siel kattomas 13 siit senkii paika viel.

sont formés avec le mode conditionnel , le verbe se mettant en position initiale (v. Kauppinen 1998 : 187–189 ; v. aussi A. Hakulinen et al. 2004 : § 1659), p. ex. Ol-isi-pa jo kesä (‘être-COND.3SG-PTCL déjà été’ > ‘Si seulement c’était déjà l’été’).

187 Notons qu’en finnois, un verbe de mouvement, comme le verbe juosta (‘courir’) dans cet exemple, peut servir d’élément introducteur du discours rapporté directe (v. p. ex. Laitinen 2005 : 89–90).

172

1 I : et après encore quand je suis allée là-bas quand(h) .h 2 le fiancé de Milja est venu aussi et ils m’ont dit de 3 venir à Rätäkkä donc bien qu’on dise que ça fait quinze 4 kilomètres, .h (il a fait-) ils sont venus me chercher 5 à Moantaka alors ils ont (part-) ils m’ont amenée là-bas, 6 .mth à Moantaka mais- (.) il m’a dit(h) (.) Milja aussi 7 elle a couru ((en disant)) est-ce que grand-mère vient et 8 .h donc est-ce que tu viens à Rätäkkä pour voir comment 9 c’est chez nous, (.) ben le fiancé Martti il a dit 10 aussi que grand-mère qu’elle vienne

11 on viendra ((la/vous)) chercher le matin =>ils sont venus 12 (me chercher) à Moantaka < et j’ai pu aller voir

13 cet endroit aussi.

lignes 7–9 :

lähtöö-ks vanha-äit tuol ja et tul'-t seä vua partir.3SG-Q vieille-mère PROADV et CONJ/PTCL venir-2SG 2SG PTCL

Rätäkkä-ä katto-ma-a mei paikko-j-a ni.

PROP-ILL regarder-INF-ILL 1PL.GEN endroit-PL-PART PTCL

ligne 10 :

vanha-äiti sen ko lähte-köö vieille-mère PTCL PTCL partir-JUSS

Dans cet exemple, constitué du discours rapporté, l’énoncé jussif (v. ligne 10, se o vanhaäiti sen ko lähteköö ‘grand-mère qu’elle vienne’), attribué au fiancé Martti, ne peut être interprété comme une expression d’autorisation, car l’événement

‘venir’ n’est pas présenté dans ce contexte comme une initiative du référent du sujet (‘grand-mère’), mais comme celle de Milja.188 Reproduisant le sujet et le verbe de la première partie de la question de Milja (v. ligne 7, lähtööks vanhaäit tuol

‘est-ce que grand-mère vient’), l’énoncé jussif se présente comme un réaction à celle-ci, l’élément figé sen ko marquant l’acte de parole d’invitation.189 Le référent des sujets vanhaäit et vanhaäiti (‘grand-mère’) correspond au sujet parlant de l’extrait en question.190

188 Sur l’interprétation de la valeur modale du jussif, v. section 3.3.1.2., ci-dessous.

189 L’élément senko ~ sen ku(i)n semble jouer un rôle important dans l’interprétation de l’énoncé jussif. Il est, en effet, utilisé dans certains contextes pour exprimer la concession et la permission (v. Kielitoimiston sanakirja 2.0, s. v. sen). Pour la morphologie et la fonction de senko

~ sen ku(i)n, v. aussi Herlin (1998 : 246).

190 Dans le cas du discours rapporté direct, je fais la distinction tripartite entre les différents points de vue textuels, suivant le modèle de Ducrot (1984). Le sujet parlant correspond à l’être empirique qui prononce ou écrit la parole, alors que le locuteur est un être du discours qui se présente comme prenant en charge l’énoncé. C’est à lui que les éléments déictiques de la première personne, tels le pronom personnel je, font référence. Enfin, l’énonciateur est celui à qui le point de vue de l’énoncé appartient. Le locuteur peut, à sa volonté, s’identifier à un des énonciateurs pour s’exprimer, mais il peut aussi distinguer son propre point de vue de celui des énonciateurs

173

Le locuteur perçoit les deux énoncés rapportés de Milja et Martti comme directifs, ce qui est explicité dans le discours précédent sous la forme de l’énoncé patistiit minua Rätäkkää (‘ils m’ont dit de venir à Rätäkkä’) (v. lignes 2–3), où le verbe patistaa (‘inciter’) dénote un acte de parole qui vise à influencer l’action d’un autre.

L’énoncé de Milja est toutefois formulé en question, ce qui fait que la volonté de l’énonciateur (Milja) n’y est pas explicitée, contrairement à l’énoncé de Martti, le jussif mettant en avant l’intention de l’énonciateur (Martti) (v. ci-dessus).

Dans la première partie de la question de Milja et dans l’énoncé jussif de Martti, l’utilisation de la troisième personne permet à l’énonciateur du discours rapporté d’exprimer la directivité sans mettre en place explicitement la polarité entre la première et la deuxième personne, où celle-là est dans une « position de transcendance » par rapport à celle-ci (v. Benveniste 1966 : 260). Utiliser la deuxième personne de l’impératif (p. ex.

lähde ‘pars’ > ‘viens’ ou lähtekää ‘partez’ > ‘venez’),191 c’est de s’engager soi-même, et engager son interlocuteur, dans un face-à-face, alors que la troisième personne rend possible d’estomper le lien asymétrique entre les deux personnes (v. ibid.). L’emploi du mode indicatif dans la question posée par Milja convient à ce contexte, car, comme constaté par Erelt & Metslang (2004 : 167) dans le cadre d’une étude sur l’impératif estonien, l’indicatif sert à construire une égalité entre les participants de l’énonciation.

Dans une perspective pragmatique, les énoncés de Milja et Martti peuvent donc être interprétés comme directives qui, par politesse, sont formées à la troisième personne (cf.

Yli-Vakkuri 1986 : 218 ; v. aussi Laitinen 2005 : 83–84).

Que les énoncés attribués à Milja et Martti ne soient pas construits autour d’une polarité entre la première et la deuxième personne ne signifie pas que le référent du sujet de ces énoncés soit extérieur au moment de l’énonciation. Présent dans la situation, il figure comme un participant tout à fait souverain, ayant la possibilité de se présenter comme l’énonciateur suivant (Seppänen 1998 : 126). Or, grâce à la référence à la troisième personne, au lieu de la deuxième, les énoncés sont adressés à plus d’un interlocuteur, c’est-à-dire à l’ensemble de l’assistance (v. Sacks 1992 : 573 ; Seppänen 1998 : 126–127), y compris à Martti, dans le cas de Milja, et à Milja, dans le cas de Martti. Avec son énoncé jussif, Martti non seulement invite la grand-mère à venir, en coopération avec Milja, mais aussi montre son alignement à l’initiative de celle-ci.

Les énoncés attribués à Milja et Martti sont donc conformes à l’observation de Nuolijärvi & Tiittula (2001 : 591) selon laquelle il n’est pas toujours possible de définir si une forme de troisième personne est utilisée pour s’adresser à quelqu’un ou bien pour faire référence à quelqu’un. La frontière entre une personne et une non-personne doit, en effet, être tracée à l’intérieur de la catégorie de troisième personne, et non entre la première et la deuxième personne, d’un côté, et la troisième personne, de l’autre (Laitinen 1995a ;

(ibid., pp. 192–205). Dans l’exemple (171), le sujet parlant correspond donc à l’informatrice de l’entretien, le locuteur étant responsable du discours rapporté et les énonciateurs se manifestant comme ceux dont le discours est rapporté (Milja et Martti).

191 Le verbe lähteä (‘partir’) est ici traduit par le verbe venir, car, contrairement au verbe finnois, le verbe français partir ne peut dénoter, en tout cas dans ce contexte, l’action où le destinataire est censé de partir en accompagnant celui qui lui propose de partir.

174

Seppänen 1998 ; v. aussi Laitinen 1995b : 85–86 ; Laitinen 1997 : 119 ; Helasvuo &

Laitinen 2006).