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1. Introduct�on

1.2. Formes d’adresse

Dans la terminologie présentée par Braun5 (1988 : 7–14), l’adresse est le concept de base désignant la référence linguistique du locuteur à son interlocuteur, et les formes d’adresse sont réparties en trois classes : le pronom, le verbe et le nom. Avec son équipe, Braun a étudié les formes d’adresse dans bon nombre de langues. Quant au français, on peut mentionner l’étude de Kerbrat-Orecchioni (1992 : 21–25).

Les pronoms d’adresse faisant référence à l’interlocuteur sont, en général, les pronoms de la deuxième personne (par exemple you de l’anglais, tu/vous du français, sinä/te du finnois), mais les autres personnes sont possibles dans quelques langues (par exemple Sie en allemand : troisième personne du pluriel ; Lei en italien : troisième personne du singulier). Le nombre des pronoms d’adresse varie selon les langues (portugais : trois ; japonais : cinq ; coréen : six, etc. ; v. Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 18–21).

Les formes verbales de l’adresse sont les verbes dans lesquels la référence à l’interlocuteur est exprimée par exemple à l’aide des suffixes, qui sont redondants dans les cas où un pronom d’adresse les accompagne, mais dans les langues où les pronoms d’adresse ne sont pas obligatoires, le verbe peut être seul à exprimer la référence à l’interlocuteur. C’est le cas, par exemple, du finnois : dans la phrase

« Mihin menet ? » (« Où vas-tu ? ») le suffixe –t du verbe est le seul élément exprimant le pronom d’adresse (deuxième personne du singulier). Facultatif, le pronom d’adresse de la deuxième personne sinä pourrait être ajouté à la phrase (« Mihin sinä menet ? »).

Quant à la classe des noms d’adresse ou formes nominales d’adresse (FNA) (terme de Kerbrat-Orecchioni, à paraître), elle comprend des substantifs et des

5 Pour la terminologie en français, v. Kerbrat-Orecchioni (1992 : 15–25) qui se basePour la terminologie en français, v. Kerbrat-Orecchioni (1992 : 15–25) qui se base essentiellement sur le classement de Braun.

adjectifs faisant référence à l’interlocuteur. Kerbrat-Orecchioni (1992 : 21) considère comme noms d’adresse « les syntagmes nominaux susceptibles d’être utilisés en fonction vocative ». Ils possèdent des marqueurs syntaxiques ou prosodiques : l’absence d’article souvent (cf. aussi Détrie 2006 : 61) ainsi que l’emploi en incise, et ils sont éventuellement précédés d’une particule vocative.

Dans ce travail sera adopté le terme formes nominales d’adresse (FNA) qui me semble pertinent, vu que les FNA peuvent comprendre plusieurs termes (par exemple mon chéri, ma petite dame).

Braun (1988 : 9–11) classifie les FNA en neuf catégories : les anthroponymes (noms propres), les termes de parenté, les titres du type Monsieur, les titres (Docteur, Duc), les noms abstraits (par exemple Votre Excellence ou Votre Grâce), les termes de profession pouvant fonctionner comme formes d’adresse (par exemple professeur), les termes précisant la nature de la relation (par exemple camarade), les termes affectueux ou les noms de tendresse (coco, loulou, chéri) et les formes d’adresse définissant l’interlocuteur comme père/frère/femme/fille de quelqu’un. Il est surprenant que Braun ignore la catégorie des termes affectifs à valeur négative, soit les injures, que mentionnent aussi bien Kerbrat-Orecchioni (1992) que Lagorgette (2003 : 59). On pourrait penser que cette catégorie serait plus universelle que celle définissant l’interlocuteur comme père/frère/femme/fille de quelqu’un, dans la mesure où il n’est pas question des termes de parenté, que Braun mentionne à part.

La classification des FNA adoptée dans le cadre de cette thèse diffère quelque peu de celle de Braun (cf. ci-dessus), d’abord parce que les noms abstraits, par exemple, n’apparaissent pas dans le corpus examiné. Deuxièmement, les termes définissant l’allocutaire comme père/frère/femme/fille de quelqu’un sans qu’il s’agisse d’une relation biologique (par exemple mon frère adressé à un ami) sont rares dans le corpus étudié. Troisièmement, je n’ai pas trouvé nécessaire de constituer une catégorie pour les termes précisant la nature de la relation (par exemple mon ami), car nombreux d’entre eux pourraient, à mon avis, être considérés comme des termes affectifs. Dans ce travail, les FNA seront classées dans les six catégories suivantes : (1) les prénoms et les patronymes (par exemple Lucien, Pignon), (2) les titres Monsieur, Madame et Mademoiselle (par exemple Monsieur Dufayel), (3) les noms de métier / de fonction et les titres professionnels (par exemple Docteur pour désigner un médecin), (4) les termes de parenté (par exemple maman), (5) les termes affectifs à valeur positive (par exemple mon chéri) et (6) les termes affectifs à valeur négative (par exemple connard).

Avant l’analyse, quelques précisions terminologiques sont nécessaires. Il apparaît que, comme le constate Lagorgette (2006b : 38), « la terminologie rendant compte du phénomène du détachement rend surtout compte d’un flou

catégoriel ». Elle pense qu’il est dû à la difficulté d’analyser le syntagme nominal détaché selon les critères ordinaires : il n’appartient pas aux parties du discours, il peut fonctionner de façon autonome et il n’a pas de place assignée. Dans les études antérieures sur l’adresse apparaissent plusieurs notions différentes : vocatif, apostrophe, appellatif et terme/forme d’adresse.

Selon Détrie (2006 : 12), les choix terminologiques révèlent aussi bien des problématiques disciplinaires différentes que des points de vue différents sur le phénomène en question. Elle associe, par exemple, le terme vocatif à « la langue à déclinaison » et pour cette raison le considère comme non approprié au français, qui ne posséde plus de déclinaisons. Lagorgette (2006b : 38) distingue deux sens pour le vocatif : l’un fait référence à un cas, et l’autre à une fonction énonciative.

Dans les études relativement anciennes (cf. Milner 1978 : 178–179), le terme vocatif a été employé, or il me semble faire référence plutôt à un système casuel, alors que, dans ce travail, j’aurai besoin d’un terme plus global.

La notion d’apostrophe réfère, d’après Lagorgette (2006 : 41), à deux notions ou domaines différents : à « un type de dire » (tradition rhétorique) et à une « fonction grammaticale ». Détrie (2006 : 16) privilégie le terme d’apostrophe « parce qu’il permet d’englober des stratégies énonciatives, sous-tendues par une coénonciation, qui ne se manifestent pas nécessairement par la représentation d’une interlocution présentée comme effective ». Notons que l’étude de Détrie (2006) ne porte pas du tout sur les pronoms d’adresse. La notion d’apostrophe me semble trop étroite dans une étude visant à examiner le système d’adresse dans sa globalité.

Le terme appellatif est fréquemment utilisé pour renvoyer à l’adresse nominale (par exemple Perret 1970, Rosier et Ernotte 2001), et dans les études antérieures, nous aussi l’avons utilisé (par exemple Havu et Sutinen 2007b). Comme le fait remarquer, à juste titre, Lagorgette (2006b : 42), son ambiguïté est problématique : appellatif, comme le verbe appeler, peut renvoyer aussi bien à nommer (emploi délocutif) qu’à interpeller (emploi allocutif). Même s’il existe souvent une différence entre les termes qui s’emploient en fonction vocative et en fonction désignative – par exemple les paires dame/Madame ou demoiselle/Mademoiselle où seuls les derniers peuvent être utilisés en emploi allocutif – cela n’est pas toujours le cas. En effet, comme le fait remarquer Détrie (2006 : 7), Monsieur par exemple peut s’utiliser dans les deux fonctions : Monsieur Jean, venez ! vs Monsieur Jean vient. La distinction entre les noms de désignation et les noms d’adresse est donc importante (v. aussi Braun 1988 : 7–14 ; Dickey 1997 : 256–

257, 273). Dans le cadre de ce travail seront examinés uniquement les emplois allocutifs, et non les emplois délocutifs. Ainsi, pour des raisons de clarté, la notion d’appellatif n’est-elle pas employée dans cette étude.

La notion de terme d’adresse vient de la tradition linguistique anglo-américaine (cf. Neveu 2003 : 28). Détrie (2006 :12) constate que cette notion s’emploie surtout dans l’analyse des interactions verbales (l’approche interactionnelle) et qu’elle est liée à l’étude du rapport de places et aux questions de rôles. Le terme ressortit essentiellement à l’analyse du discours (Neveu 2003 : 27), et souligne le domaine de la pragmatique (Lagorgette 2006b : 42). La notion de terme d’adresse est préférée dans plusieurs études (cf. Braun 1988 : terms of address ; Bertaux et Laroche-Bouvy 1982 ; Dimachki et Hmed 2001 ; Guigo 1991 ; Havu 2004a, 2004b ; Havu et Sutinen 2007a, 2007b ; Hirvonen et Sutinen 2006 ; Lagorgette 1994, 2003, 2006a, 2006b ; Noailly 2005 : 34 et Suomela-Härmä 2004).

Détrie (2006 : 13) constate de manière critique que terme d’adresse (comme forme d’adresse) donne lieu à une hésitation terminologique, car il peut inclure des pronoms et des noms en emploi non interpellatif. À mon avis, dans une étude s’intéressant aux différents facteurs contribuant au choix du tutoiement et du vouvoiement, il n’est pas nécessaire de distinguer les formes du genre « Je viendrai te chercher dans une demi-heure » vs « Toi, je reviendrai te chercher dans une demi-heure » (Détrie 2006 : 13). Bien que Lagorgette (2006b : 42) adopte elle-même la notion de terme d’adresse, elle reconnaît que cette notion a été utilisée pour renvoyer à un emploi aussi bien allocutif que délocutif. Cependant, elle souligne que le terme d’adresse peut référer uniquement à « l’adresse directe », et elle fait clairement une distinction entre référence et appel. Il me semble que le terme d’adresse réfère actuellement plutôt à un emploi allocutif, mais il est à souligner qu’il englobe aussi bien les pronoms que les noms d’adresse.

Reste la notion de forme d’adresse. Selon Lagorgette (2006b : 43), elle est souvent interchangeable avec terme d’adresse dans la littérature linguistique (par exemple Brown et Gilman 1960 ; Brown et Levinson 1978, 1987). Elle pense que le problème lié à ce choix terminologique est que forme d’adresse réfère le plus fréquemment aux pronoms d’adresse et qu’il s’agit de leur emploi aussi bien en référence qu’en appel. Or, d’abord, il semble que forme d’adresse ne soit pas considérée par tous comme une notion faisant explicitement référence aux pronoms et aux formes nominales d’adresse (cf. le nom du colloque « Actes du colloque sur les pronoms de 2e personne et les formes d’adresse dans les langues d’Europe, Paris, 6–8 mars 2003 »). Deuxièmement, il est à noter que le dernier problème, à savoir l’hésitation entre les emplois allocutif et délocutif, peut se poser aussi avec la notion terme d’adresse (cf. ci-dessus).

Pour moi, la notion forme d’adresse paraît plus englobante que celle de terme d’adresse. Il est vrai que les deux peuvent inclure aussi bien les pronoms que les formes nominales d’adresse, mais il me semble que forme d’adresse souligne que, dans l’adresse, il est souvent question d’une combinaison de termes. Lorsque

l’objectif est d’étudier le système d’adresse dans son ensemble, le choix d’un pronom d’adresse et d’une forme nominale d’adresse éventuelle est important.

Ainsi, dans le cadre de ce travail, la notion de forme d’adresse me semble particulièrement utile pour évoquer par exemple les occurrences du type vous + Edith vs tu + Lucien ou vous + Monsieur vs vous + Edith. Là, à mon avis, il n’est pas seulement question du choix d’un terme d’adresse – tu vs vous ou prénom vs titre – mais du choix d’une forme d’adresse : quel pronom d’adresse employer avec quelle forme nominale d’adresse. C’est pourquoi la notion forme d’adresse est adoptée dans cette thèse.

Le système d’adresse d’une langue comprend la totalité des formes d’adresse et leurs relations dans une langue. Il importe de noter que les pronoms et les formes nominales d’adresse ne fonctionnent pas de la même manière. Kerbrat-Orecchioni (à paraître) les oppose d’un point de vue syntaxique et sémantique. En effet, un pronom d’adresse avec un contenu pauvre est le pronom de deuxième personne qui apparaît quand l’un des actants du verbe correspond à l’interlocuteur, alors que l’apparition d’une FNA plus chargée sémantiquement n’est pas obligatoire : sa présence est aléatoire et liée à la sémantique et à la pragmatique. À cause de cette différence, les pronoms d’adresse sont essentiellement envisagés sous l’angle sémantique (v. 4.3.), alors que les FNA le sont aussi bien sous l’angle sémantique que pragmatique (v. 4.4.).

Les locuteurs ou les groupes de locuteurs font usage de la vaste palette des formes d’adresse qu’ils ont à leur disposition. Lorsque le locuteur doit sélectionner entre plusieurs variantes grammaticalement correctes et interchangeables dans un contexte particulier, comme le constate Braun (1988 : 12), ce sont les facteurs extralinguistiques qui guident le choix de la forme, et l’arrière-plan social et linguistique du locuteur est un facteur influençant le choix. Braun mentionne l’existence d’un grand nombre de variantes permettant un encodage plus détaillé des différences, par exemple quant à l’âge, au sexe et au statut social ou professionnel. Comme nous le verrons (v. partie II : français et finnois), la palette de l’adresse varie d’une langue à l’autre, et même si deux langues possèdent les mêmes éléments d’adresse, leur emploi et leur fréquence d’emploi peut varier.