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Distance vs familiarité / intimité / solidarité

PARTIE I : Système d’adresse du fran�a�s

3. D�mens�ons de la relat�on �nterpersonnelle

3.1. Distance vs familiarité / intimité / solidarité

Le but à atteindre est un compromis, finement calculé, entre la proximité et l’éloignement.

(Lacroix 1990 : 85 et 167, cité par Kerbrat-Orecchioni 1992 : 273)

La dimension qui désigne de quelque manière la distance entre les interlocuteurs apparaît aussi bien dans le modèle de Brown et Gilman (1960) que dans celui de Kerbrat-Orecchioni (1992), bien que la terminologie varie d’un modèle à l’autre.

Sans justifier leur choix de terminologie, Brown et Gilman parlent de la sémantique de la solidarité (opposée à la sémantique du pouvoir, cf. 3.2.), alors que dans son modèle intitulé relation interpersonnelle, Kerbrat-Orecchioni (1992 : 40) emploie les notions de distance et de familiarité. Elle considère les termes de familiarité, d’intimité et de solidarité comme des variantes d’une même relation, même si l’intimité renvoie plutôt aux aspects cognitifs et affectifs, alors que la solidarité réfère à un rapprochement lié à l’appartenance à un même groupe. Dans ce travail, l’intimité et la solidarité sont considérées comme synonymes dans le sens où les deux font référence à une « petite distance » entre les interlocuteurs, même si le terme intimité me paraît plus neutre – la solidarité pouvant avoir des connotations politiques.

Dans la sémantique de la solidarité de Brown et Gilman (1960 : 257–260), il s’agit d’une relation réciproque (symétrique) entre les interlocuteurs, c’est-à-dire

que les interlocuteurs font usage du même pronom d’adresse, en particulier du T. D’après Brown et Gilman, au fur et à mesure que la solidarité augmente, le T devient de plus en plus probable. Une relation réciproque entre les locuteurs demande, en général, quelque chose en commun : les locuteurs sont des frères ou des sœurs, des collègues, des amis d’école, partagent les mêmes points de vue ou occupent un statut similaire dans la famille / au travail / dans la politique, etc. Il est évident que la solidarité ne se base pas sur n’importe quel caractère similaire, et, par conséquent, par exemple la couleur des yeux ou la taille des chaussures n’est pas importante – s’il n’est pas question d’extrémités – mais les similarités concernent plutôt la pensée ou le comportement ainsi que des facteurs tels que le sexe ou le lieu de naissance. La fréquence des contacts peut, elle aussi, favoriser l’emploi d’un T de solidarité, mais ce n’est pas une règle.

Kerbrat-Orecchioni (1992 : 39–69) parle de la relation horizontale (distance vs familiarité), qui correspond à peu près à la sémantique de la solidarité de Brown et Gilman (cf. ci-dessus). Les pronoms d’adresse sont les procédés par excellence d’affichage de la distance (vous réciproque) ou de la proximité (tu réciproque). En plus des pronoms d’adresse, les formes nominales d’adresse sont, elles aussi, aptes à marquer une relation horizontale. Or ni Brown et Gilman, ni Kerbrat-Orecchioni n’en font une étude détaillée. En plus de quelques commentaires, cette dernière se contente de renvoyer le lecteur aux ouvrages de Perret et d’André-Larochebouvy (thèse de doctorat non publiée).

La distance dépend, d’après Kerbrat-Orecchioni, des facteurs suivants : 1) le degré de connaissance, 2) la nature du lien socio-affectif et 3) la nature de la situation communicative (familière vs formelle). Le mérite du modèle de Kerbrat-Orecchioni est certainement qu’il prend en considération la diversité des facteurs qui peuvent jouer un rôle dans le choix d’une forme d’adresse. Le modèle de Brown et Gilman a été critiqué – à juste titre – par exemple par Braun (1988 : 18–24, 306–7), parce qu’il ne prend pas suffisamment en compte la variation. Pour elle, la variation n’est pas une exception, mais plutôt la règle : l’emploi des formes d’adresse varie, entre autres, selon l’origine régionale, l’âge, le statut social, l’éducation, le sexe, la religion, l’adhérence à un groupe et la personnalité du locuteur. Il est à noter que la variation en soi n’est pas niée par Brown et Gilman.

D’après eux, le choix entre T/V peut être lié à l’idéologie (conservatrice/radicale) et au statut social (l’introduction du V d’abord dans les couches sociales les plus élevées, et sa diffusion vers les couches plus basses). Ce que ces deux chercheurs nient, c’est le style personnel dans le choix d’une forme d’adresse :

As yet we have reported no evidence demonstrating that there exists such a thing as a personal style in pronoun usage in the sense of a tendency to make wide or narrow use

of T. [...] A child learns what to say to each kind of person. What he learns in each case depends on the groups in which he has membership.

(Brown et Gilman 1960 : 272–73)

Il est évident que la conception de Brown et Gilman est trop étroite. Les raisons sont à chercher dans la méthodologie qu’ils appliquent : En plus de conversations avec des locuteurs natifs, l’étude de Brown et Gilman se base essentiellement sur les questionnaires remplis à Boston en 1957–58 par des étudiants étrangers dont 50 étaient francophones. À cause du nombre réduit de femmes qui avaient répondu au questionnaire, l’analyse se limite à un groupe d’hommes. Homogène, ce groupe examiné comprenait des étudiants masculins originaires de familles de classe moyenne supérieure et de villes de plus de 300 000 habitants. À l’heure actuelle, il serait impossible d’imaginer une enquête visant à une théorie généralisée sans informateurs féminins et sans groupes d’âge et groupes sociaux différents.

Selon Kerbrat-Orecchioni, la relation horizontale se caractérise par deux propriétés. La première est la gradualité, qui signifie qu’au moins les locuteurs adultes peuvent choisir un comportement entre deux extrêmes, c’est-à-dire familier et étranger. Cette notion de gradualité de l’axe de la distance me paraît tout à fait justifiée, car le modèle de Brown et Gilman laisse supposer qu’il s’agit de deux pôles extrêmes, ce qui n’est pas le cas (v. 4.2.–4.3.). La seconde propriété est la symétrie : Kerbrat-Orecchioni pense que la dissymétrie est considérée comme désagréable. Sur la deuxième propriété, je suis un peu moins d’accord, car sur la base du corpus cinématographique étudié, cela ne semble pas toujours être le cas (v. chapitre 4.).

D’après Brown et Gilman (1960 : 261), depuis le XIXe siècle, la sémantique de la solidarité domine, c’est-à-dire que la probabilité du T ou du V réciproque augmente.

Nous verrons ultérieurement si c’est le cas dans le corpus cinématographique examiné (v. 4.2.). Brown et Gilman (1960 : 265, 268) expliquent cela par un changement de la société. Ils associent à la sémantique du pouvoir une société relativement stable dans laquelle le pouvoir est attribué par le droit de naissance ; l’Église enseignait que chaque homme avait sa place et qu’il ne devait pas chercher à s’élever au-dessus de sa condition. La sémantique de la solidarité réciproque, en revanche, s’est répandue avec la mobilité sociale, l’idéologie égalitaire et le développement des villes.

Kerbrat-Orecchioni (1992 : 57–69) semble partager l’avis de Brown et Gilman sur le changement de la société, elle trouve que les règles définissant les marqueurs de la distance et de l’intimité sont floues et variables, ce qui fait que les locuteurs ne sont pas forcément d’accord ni sur le type de relation entre eux, ni sur la signification des marqueurs de la relation. Le résultat peut être l’irritation, le malaise ou même

une crise de l’interaction. Notons que Braun (1988 : 30), pour sa part, est d’avis que les différences dans l’emploi des formes d’adresse sont, généralement, assez bien tolérées par les interlocuteurs. Toutefois, la distance interpersonnelle peut être négociée entre les interlocuteurs, et elle évolue généralement vers la réduction de la distance.

Enfin, Kerbrat-Orecchioni (1992 : 69) souligne, à juste titre, que, bien qu’isotopes, les différents « relationèmes horizontaux » ne sont pas à dissocier des

« relationèmes verticaux ». En effet, les deux fonctionnent sur les deux axes (par exemple les pronoms d’adresse marquent aussi bien le pouvoir que la solidarité, v. aussi Brown et Gilman), et « cette polysémie des marqueurs ne simplifie évidemment pas leur description » (Kerbrat-Orecchioni 1992 : 69). La manière dont les formes d’adresse peuvent se situer sur l’axe graduel de la distance sera étudiée ultérieurement (v. 4.2. et 4.3.).