• Ei tuloksia

La flânerie féminine dans Nadja d’André Breton

2 Flâneur/flâneuse

2.1 La femme en marge dans la scène de la vie moderne

C’est Charles Baudelaire qui a introduit le thème du flâneur pour la première fois dans son essai Le peintre de la vie moderne (1863). Dans son essai, Bau-delaire (1995: 795) parle de l’artiste qui est un dandy et qui se passionne pour la flânerie et pour l’observation dans la foule. Le flâneur est quelqu’un qui puise son inspiration dans l’observation de la vie moderne.

Le flâneur est considéré presque sans exception comme un homme de la classe moyenne et il se distingue fortement des autres groupes marginaux circulant dans la ville comme les vagabonds et les prostituées (D. Latouche 1999: 3). Souvent dans le contexte, où l’on parle de la présence des femmes dans la métropole, on soulève l’idée des sphères séparées qui a été motivée par une idéologie bourgeoise. Selon cette idéologie, les femmes ont été re-liées à l’espace privé de la famille, tandis que les hommes ont été reliés à l’espace public. Le monde social était découpé selon les activités féminines et masculines. Les lieux publics étaient considérés comme défavorables aux femmes, car la femme dans les lieux publics signifiait la perte de sa vertu aux yeux de la société. Donc, la flânerie, chez les femmes, a signifié la perte de la réputation. Pourtant, les hommes ont été capables de circuler entre ces deux espaces différents.

A l’époque de la modernité, la nouvelle conscience urbaine a été avant tout masculine et c’est pourquoi la présence des femmes dans la ville et la flânerie féminine sont devenues une question problématique (E. Wilson 1992a: 5). Comme la subjectivité était plutôt masculine, les femmes restaient en dehors des représentations et il en a résulté que les femmes étaient consi-dérées comme des figurantes ou comme des muses un peu marginales. La subjectivité était reliée à l’homme actif et rationnel et la femme n’était pas vue comme sujet, mais comme l’autre. C’est certainement ce même facteur qui rend difficile l’examen de Nadja en tant que flâneuse parce que le livre est écrit du point de vue du narrateur masculin. Donc, les activités de Nadja sont vues uniquement par les yeux du narrateur.

Janet Wolff (1990, 1994) pense que l’on ne peut pas considérer la femme de la modernité comme flâneuse, car la flânerie était une activité strictement

masculine. Elle invoque le fait que la littérature de la modernité ne décrit que les expériences de l’homme, malgré la présence de quelques femmes margi-nales (J. Wolff 1990: 34–35). Comme exemple, Wolff (id., p. 41) prend des poèmes de Baudelaire, où l’on décrit des femmes de la ville qui sont toutes marginales. Après avoir étudié ces femmes, elle constate qu’aucune d’elles n’égale le poète, mais elles sont décrites en tant qu’objet d’observation du poète (id., p. 42). Nous croyons qu’ici, le problème principal n’est pas uni-quement le manque de la présence des femmes dans la vie urbaine, mais le fait que l’on n’a pas étudié leurs expériences de la ville. Nous trouvons que le fait que les femmes étaient toutes marginales et inégales à l’homme n’ex-clut pas la femme de la vie publique. Il est évident que cette sorte d’étude est souvent problématique étant donné que la littérature de la modernité se concentre sur les expériences des hommes. Également, dans les études sur le surréalisme, le rôle de la femme surréaliste du point de vue de la femme a reçu moins d’attention. Certes, on parle des femmes, mais elles sont toujours dans les rôles passifs. C’est également le cas de Nadja: dans les études, elle est toujours mentionnée, mais elle est uniquement décrite comme objet passif et mystérieux d’un ouvrage de Breton. Pourtant, à notre avis, il est possible de trouver des caractéristiques qui indiquent que Nadja a aussi pu avoir les qualités d’une personne active.

Il est pourtant évident que dans la littérature de l’époque de la modernité la femme est dans une position marginale tandis que l’homme est le nar-rateur-flâneur dont les idées sont exposées au lecteur et ainsi il est aussi en premier lieu le flâneur du récit. Souvent, la femme est vue plutôt comme un personnage passif, quelqu’un qui est vue rapidement dans la rue par le nar-rateur-flâneur. Pourtant, dans Nadja le narrateur et Nadja flânent ensemble dans les rues de Paris et à travers le récit Nadja participe aussi à l’action.

Donc, bien que Nadja soit d’un côté, l’objet de l’expérience du narrateur-flâneur, elle participe elle-même à la flânerie. Comme la voix de Nadja est également présente, on peut aussi aborder l’ouvrage du point de vue de la flânerie féminine.

A notre avis, la position secondaire de Nadja à l’égard du narrateur ne l’empêche pas de se conduire comme une flâneuse. Au contraire, nous trou-vons que dans Nadja, il y a beaucoup de traits intéressants qui peuvent être considérés comme des caractéristiques d’un flâneur/flâneuse. Elizabeth

Wilson (1992a, 1992b, 2001) a également examiné le concept de flâneuse et contrairement à Wolff, Wilson pense qu’il y a eu des flâneuses. Elle trouve que la thèse selon laquelle la scène urbaine a uniquement été représentée du point de vue de l’homme est exagérée, parce qu’en fait, les femmes ont participé aux activités de la vie urbaine (E. Wilson 1992: 56). Et en effet, la vie urbaine a laissé aux femmes une certaine liberté, bien que le prix de cette liberté ait souvent été l’accentuation de leur sexualité (ibid.).

Nous trouvons que la thèse selon laquelle la flânerie est une activité stric-tement masculine est trop inflexible. On peut dire également que le dandy de la fin du XIXe siècle est souvent considéré comme décadent, efféminé et proche de l’homosexuel (G. Zapperi 2005: 7). De ce point de vue, si déjà le flâneur était une figure exceptionnelle, qui ne représente pas des idéaux bourgeois de la masculinité, pourquoi la flâneuse en tant que figure littéraire serait-elle impossible?

2.2 Le regard masculin et l’accentuation de la sexualité de la femme

Donc, Baudelaire (1995: 808–809, 811–814) parle aussi des femmes dans le contexte de la flânerie, mais il ne les considère pas comme des flâneuses, mais plutôt comme des objets du regard du flâneur masculin. Dans les théo-ries de plusieurs chercheurs, on peut voir que le concept de regard est devenu essentiel dans le contexte de la flânerie et plus particulièrement dans la flâ-nerie féminine (voir J. Wolff 1990: 42; R. Bowlby 1992: 6; E. Wilson 2001: 78–

79; L. Conor 2004: 16). Souvent, la femme est seulement vue en tant qu’objet du regard masculin par lequel le narrateur réfléchit à la vie moderne. Selon Rachel Bowlby (1992: 6), les femmes ne sont admises dans la culture de la flânerie que comme objet du regard masculin, parce que les femmes étaient elles-mêmes les décors dans la scène de la vie moderne et c’est pourquoi elles n’ont pas pu participer comme sujet actif à la flânerie.

Griselda Pollock (1991, 2007) soutient la même opinion que Bowlby. Se-lon elle, il n’y avait pas de flâneuses, parce que la femme ne pouvait pas flâ-ner dans la foule et rester incognito (G. Pollock 1991: 71). A notre avis, cet argument de Pollock est trop simplifié, parce que, en réalité, la femme n’a pas été exclue de l’espace public, mais il y avait beaucoup de femmes qui étaient

habituelles dans les villes, par exemple les femmes de la classe ouvrière.

Pourtant, pour beaucoup de femmes, la flânerie a signifié la perte de la vertu et l’accentuation de leur sexualité. Souvent, les femmes ne voulaient pas payer ce prix, alors elles sont restées dans l’espace privé. D’après E. Wil-son (1992a: 8), les prostituées ont fréquemment été un sujet brûlant dans la discussion de la vie urbaine et la présence de la femme dans l’espace public a été rattachée à la prostitution. Donc, on peut dire que l’opinion publique manifestait une méfiance à l’égard de la femme flânant dans les rues et la femme déchue était abandonnée par la société. Par contre, Nadja ne se sent pas concernée par sa réputation ou par l’accentuation de sa sexualité, mais comme le narrateur le décrit «elle va la tête haute, contrairement à tous les autres passants» (voir A. Breton 1989: 72). Une raison pour laquelle Nadja est capable de participer à l’expérience de la vie urbaine est certainement le fait que l’on peut la considérer comme une prostituée, bien que l’on n’en parle pas directement. Les prostituées ont eu plus de liberté par rapport aux ‘femmes vertueuses’. Il nous semble que dans la littérature de la modernité, c’est sou-vent ces femmes déchues qui sont représentées dans les romans où le milieu central est l’espace urbain.