• Ei tuloksia

AnAlyse des œuVRes

1 Paul Claudel : dramaturge-exégète

1.1 Le Repos du septième jour 413

1.1.4 l’empereur – une figure du Christ

Pendant l’absence de l’Empereur, le pays tombe dans un état chaotique. Le Prince Héritier s’excuse de ne pas avoir su mieux gérer les affaires du pays, et, tout en le croyant déjà mort, supplie son père de revenir. Levant le bâton impérial en forme d’une croix, l’Empereur revient de l’enfer. Ressuscité, il se présente comme « le Pasteur des hommes » (645) qui « possède le salut » (645) de l’humanité et « apporte la purification » (645) après avoir vaincu le mal.

L’EMPEREUR : Voici le bois royal ! (643)

LE PRINCE HÉRITIER : […] Voici le caractère Dix, la figure de la Croix humaine ! […]

L’EMPEREUR : Regardez tous ! voici ce que je rapporte ! je tiens entre mes mains le signe royal et salutaire !

[…]

LE PRINCE HÉRITIER : Nous te saluons, Crucifère !

L’EMPEREUR : Je reparais à la porte fatale ! sur le seuil qui est entre la Mort et la Vie, je me tiens débout avec le signe de la Croix. […]

Paul Claudel : dramaturge-exégète

J’ai passé l’Enfer ! au travers de la nuit accrue d’ombre j’ai marché tout vivant.

Je connais la cause de tout mal, la mort possède explication. (644)

Les symboles de cette scène (la Croix, L’Arbre, victoire sur la Mort, Résurrection) contribuent à relier l’imaginaire du drame à celui de l’écriture des Évangiles et à faire du souverain une figure du Christ. Pour Claudel, « [l]a Croix, c’est Dieu à l’œuvre. Elle est non seulement son instrument, elle est sa forme active, son opération extractrice et unificatrice ; son extension entre les quatre points cardinaux »470. Lorsque l’Empereur dit : « Voici le caractère Dix, la figure de la Croix humaine » (644), il parle du signe de croix qui s’inscrit en tout homme dans la forme du corps humain. La pièce laisse entendre que la symbolique de la croix résume toutes les traditions471.

Le retour de l’Empereur est aussi une victoire de la joie contre la douleur : la réplique « Salut, signe de la joie ! salut, signe de la douleur ! Celui qui connaît ta joie peut seul accepter ta douleur » (645) de l’Empereur fait allusion à la souffrance du Christ qui précède la joie de sa résurrection. L’Empereur a en effet rempli sa mission comme Jésus dont on dit qu’il avait vaincu la Mort par sa mort :

L’EMPEREUR : Car je suis le destructeur des Morts, j’ai fermé la porte sur eux, et ils ne reviendront plus nous disputer leur héritage. (653)

Au moment de la révélation, le peuple veut revoir le visage de l’Empereur.

Celui-ci ôte son masque et montre « le visage lisse et tuméfié d’un lépreux. Le nez a disparu, les yeux ne sont plus que des trous sanglants. La bouche seule est restée intacte » (645). Le masque cache une chair lépreuse qui de nouveau renvoie à l’Évangile et à l’image du « Serviteur malade de Dieu, souffrant et expiant les péchés des hommes »472. De même, le « Ô père, ne laisse point sans père / La Famille des cent Familles ! » du Prince héritier (651) réécrit le « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous » (Jn 14, 18) du Christ.

470 Paul Claudel, Le Poëte et la Bible, I, p. 599.

471 À ce sujet, lire l’influence des Vestiges choisis et du Ad Linguae Sinicae Notitiam du Père de Prémare sur la vocation chrétienne du paganisme, Jacques Houriez 1987, pp. 53–56.

472 TOB, note du verset Mt 8,7, p. 2115.

Les répliques mystiques « J’appartiens à la Mort, il me faut retourner vers la Mère » (651) ainsi que « Vous renaîtrez une autre naissance » (650) renvoient au dialogue de Jésus avec Nicodème chez Jean : « Jésus lui répondit :

“En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu.” Nicodème lui dit : ”Comment un homme pourrait-il naître, s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ?” » (Jn 3, 3–4) Les ministres et les proches de l’Empereur représentent Nicodème dans la mesure où il leur manque complètement la capacité de voir avec les yeux de l’esprit. Ils ne comprennent pas que la nouvelle naissance signifie qu’il faut naître de nouveau comme enfant de Dieu pour recevoir la vie éternelle et échapper à l’enfer.

À la fin de la pièce, l’Empereur retrouve la paix et le sentiment que tout est à sa place :

L’EMPEREUR : Ô richesse de ma possession ! je suis aveugle et je vois ! […]

Tout est bien.

Le Mal est dans le monde comme un esclave qui fait monter l’eau ; la Justice maintient tout et la Miséricorde recrée tout.

Je voulais parler et voici que je n’ai plus rien à dire.

Je n’apporte point la bonne nouvelle, mais je suis celui qui marche devant.

Et ce n’est point Bouddha qui dort, ni le Tao pareil au Dragon dans la nue, ni le tourbillon du Yang avec le Yin, ni l’inextricable enchevêtrement des hiérogrammes.

Mais comme l’éclair fulgure,

C’est ainsi, quand elle paraîtra dans le ciel, que le sage et l’ignorant, s’ils tiennent les yeux ouverts, verront d’un même regard la face de la Vérité.

[…]

La domination et la vérité, et la justice, et l’amollissement, et la joie, et la liberté, et la purification,

Et la paix, et le fidèle pacte entre Dieu et l’homme, tel qu’un contrat d’adoption.

Ô toi qui m’entends, tu n’es pas exclu. (648)

« Le Mal est dans le monde comme un esclave qui fait monter l’eau ; la Justice maintient tout et la Miséricorde recrée tout » reprend l’idée de Claudel selon laquelle le monde n’est pas absurde, mais fait sens, puisque à chaque chose et à chaque homme est réservé une place, même au mal. Un peu paradoxalement, le point de vue de l’Empereur englobe à la fois celui du Christ et celui d’un chrétien qui témoigne de sa foi : le « je suis aveugle et je vois » évoque le témoignage d’un aveugle-né qui est guéri par Jésus « j’étais aveugle et maintenant je vois »

Paul Claudel : dramaturge-exégète

(Jn 9, 25). Les mots « s’ils tiennent les yeux ouverts, verront d’un même regard la face de la Vérité » fait référence au « ils verront son visage, et son nom sera sur leurs fronts » (Ap 22, 4) ou aux autres versets du Nouveau Testament où il s’agit de regarder Dieu et de connaître la vérité (1 Co 13, 12 ; 2 Co 3, 18). Le passage « Je n’apporte point la bonne nouvelle, mais je suis celui qui marche devant » fait allusion à Jean-Baptiste et montre la liberté que prend l’auteur de rassembler différentes personnes bibliques dans sa figure du Christ.

Le « Je voulais parler et voici que je n’ai plus rien à dire » fait écho aux paroles de Jésus adressées à son Père vers la fin de sa vie : « les paroles que je leur ai données sont celles que tu m’as données » (Jn 17, 8). Enfin l’Empereur se précipite pour quitter le monde de l’éphémère pour celui des réalités et des valeurs éternelles, ce qui fait clairement référence à la pensée platonicienne.

Cette dernière est bien présente dans le symbolisme. La « distinction entre le monde des apparences et celui des réalités dont l’autre n’est que le reflet » est selon Houriez « une notion proprement symboliste »473. La fin de l’acte III se lit aussi comme une sorte de glorification de la vie humaine. L’Empereur « cède le pouvoir à son fils, se retire dans la montagne, tandis qu’une splendide évocation lyrique de la mer et du soleil couchant termine cette pièce impressionnante »474 :

LE RÉCITANT : Maintenant voici comme une mer sur une autre mer ! Comme la pâle huile brûle sur de l’eau,

C’est ainsi qu’au-dessus de l’ombre qui s’élève de la plaine, submergeant lentement les monts,

Une surface de lumière sépare le Ciel de la Terre. (659)