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RelAtiOns textuelles

1 Paul Claudel : l’auteur catholique

1.3 le défenseur de la foi catholique

1.3.3 le dramaturge et la bible

Ce qui distingue la relation de Claudel au christianisme par rapport à Gide et à Camus, ce sont « ses travaux d’exégèse de plus en plus serrés, de plus en plus savants, ceux auxquels Claudel a consacré la dernière partie de sa vie »210. Si le Journal du dernier Gide témoigne d’un appauvrissement spirituel, si le dernier roman de Camus peut se lire comme une sorte de recherche du père disparu évoquant aussi la question du Dieu créateur, le dernier Claudel, à partir de 1929, n’a plus voulu écrire sur des sujets profanes, mais s’est appliqué uniquement à écrire sur la Bible et sur le christianisme. Ces écrits ont été rassemblés et republiés211 par Michel Malicet, avec la collaboration de Dominique Millet et Xavier Tilliette. Cet ouvrage, Le Poète et la Bible est paru en deux tomes, le premier en 1998 et le second en 2004212. Il comporte presque quatre mille pages de commentaires bibliques. Ces deux volumes rassemblent les écrits bibliques de l’auteur, à l’exception des textes publiés dans la Pléiade (Prose) ; ces derniers textes ont été commentés dans l’édition critique Figures et Paraboles par Andrée Hirschi aux Belles Lettres. La plupart des ouvrages repris dans cette réédition ont été publiés individuellement et lors du vivant de l’auteur.213 Le Poëte et la Bible en dit long sur la passion de l’auteur pour la Bible. Mais ce message se lit partout dans son œuvre : il est difficile de trouver un texte de Claudel où la Bible ne soit de quelque manière présente : chez lui, le matériau biblique est partout.

Comme c’est une édition chronologique, ces deux volumes permettent de suivre l’évolution de la pensée religieuse de Claudel en dehors de son œuvre fictionnelle. Mais pour nous, ses écrits exégétiques constituent un paratexte pour son œuvre fictionnelle de la même manière que son Journal et sa Correspondance. Nous y faisons référence uniquement pour montrer la

210 Agnès du Sarment, Claudel et la liturgie, Paris, Desclée de Brouwer, 1946, p. 39.

211 Publiés auparavant dans les Œuvres complètes de Claudel.

212 Paul Claudel, Le Poëte et la Bible I. 1910–1946, Édition établie, présentée et annotée par Michel Malicet, avec la collaboration de Dominique Millet et Xavier Tilliette, Paris, Gallimard, 1998, (1915 pages). Paul Claudel, Le Poëte et la Bible II. 1945–1955, Édition établie, présentée et annotée par Michel Malicet, avec la collaboration de Dominique Millet et Xavier Tilliette, Paris, Gallimard, 2004, (1950 pages).

213 Voir à ce sujet, www.arllfb.ebibliotheque/communication/guissard110999.pdf

spécificité de la dimension chrétienne et catholique de l’auteur en contraste avec la pensée religieuse de Gide et de Camus214.

Pour comprendre le caractère foisonnant de l’œuvre exégétique de Claudel, il faut aussi signaler l’existence de l’ouvrage Bible de Paul Claudel, paru également en deux tomes en 2000215. Il s’agit d’un relevé des interprétations bibliques et des citations explicites de la Bible. Ces passages ont d’abord été publiés dans les « Commentaires et Exégèses » (Œuvres complètes, tomes XIX à XXVII, Gallimard, entre 1962 et 1978). Dans l’introduction à la Bible de Paul Claudel, Jacques Houriez décrit ainsi la façon de Claudel de citer la Bible : À partir du moment où le texte sacré se fond dans celui de Claudel, il n’y a plus de frontière entre son inspiration et celle de la Bible. Il ne s’imprègne pas du texte comme une éponge d’un liquide pour le restituer. Le terme qu’il emploie n’est pas d’imprégnation, mais d’aspiration. Il aspire le Livre, il inspire, il inhale, et il restitue dans un souffle le mot qui est devenu sa propre respiration, son propre souffle.216

Pour Houriez, la nature et le traitement des citations bibliques varient en fonction du texte où elles s’insèrent. Il distingue trois types de citations : la citation dans le texte original (souvent la Vulgate) ; la citation traduite (il propose sa propre traduction à partir du texte latin de la Vulgate) ; le jeu des références et des allusions217. Dans nos analyses, nous ne tiendrons pas compte des catégories établies par Houriez, nous étudierons les citations bibliques selon les notions que nous avons présentées dans notre chapitre théorique.

Les œuvres de Gide et de Camus ne sont pas autant que celles de Claudel pétries et nourries de l’esprit biblique. Pour Claudel, la Bible n’est pas simplement un intertexte parmi tant d’autres, mais elle est « sa manière

214 Il nous arrive de citer ces textes publiés dans les Œuvres complètes, puisque nous n’avons pas eu Le Poëte et la Bible tout le temps sous la main.

215 Paul Claudel, Bible de Paul Claudel, tome 1, Texte établi et annoté par Maryze Bazaud, Paris, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000 ; Paul Claudel, Bible de Paul Claudel, tome 2, Texte établi et annoté par Maryze Bazaud, Paris, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000.

216 Bible de Paul Claudel, p. IV.

217 Ibidem.

Paul Claudel : l’auteur catholique

habituelle de penser »218. Ce qui est étonnant chez lui, c’est l’utilisation et la juxtaposition de divers textes bibliques :

Sous sa plume jaillissent l’un après l’autre comme des fusées, les citations les plus diverses, les plus inattendues, se répondant l’une à l’autre, s’expliquant, déployant comme dans un kaléidoscope les mille aspects d’une même pensée éternelle.219 Claudel sait imprimer au texte biblique le rythme de sa poésie presque sans rien y changer et en respectant le sens de ces intertextes bibliques. Dans un poème comme « Saint Paul », on peut reconnaître une dizaine de citations bibliques sur 32 vers. Citons un passage de ce poème (les références bibliques sont indiquées par Agnès du Sarment et ne font pas partie du poème220):

Agneau de Dieu qui avez promis votre royaume aux violents (Mt 11, 12) Recueillez votre serviteur Paul qui Vous apporte dix talents,

Cinq que Vous lui avez confiés et les cinq autres qu’il a gagnés par lui-même.

(Mt 25, 20)

Vous êtes un maître regardant, austère à celui qui Vous aime,

Donnez-lui cependant son Dieu, car lui ne Vous a pas donné son pauvre cœur à moitié !

Père Abraham, étanchez la soif de ce foudroyé (Lc 16, 24)221

Bref, comme auteur qui réécrit la Bible, Claudel ne perd jamais de vue que la Bible est un livre unique, profondément commandé par deux concepts dialectiques : celui d’autorité et celui de familiarité. L’autorité du Verbe divin ratifiée par une tradition ecclésiale ; la familiarité d’une parole que le chrétien reçoit comme à lui-même directement adressée222.

De la passion pour la Bible témoigne aussi le choix des thèmes de son théâtre, imprégné de catholicisme. Il ne se contente pas de s’inspirer de sa foi : les schémas religieux et sacramentels sont également mis en relief par l’écriture claudélienne. De nombreuses études ont montré que les thèmes catholiques

218 Agnès du Sarment, op. cit., p. 33.

219 Ibid., p. 33 220 Ibid., pp. 37–38.

221 Paul Claudel, Saint Paul, Corona Benignitatis anni dei, Œuvre Poétique, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1967, pp. 412–413.

222 Dominique Millet-Gérard, « Claudel, héritier inventif des Pères de l’Église », in Les Écrivains face à la Bible, sous la direction de Jean-Yves Masson et Sylvie Parizet, Paris, Cerf, 2011, p. 119.

les plus prégnants sont : « le sacrifice et l’oblation (L’Annonce faite à Marie, L’Otage, Le Soulier de satin) ; la Papauté et l’Église (L’Otage, Le Père Humilié) ; le mystère d’Israël (Le Pain dur) »223.