• Ei tuloksia

2.1 La tension narrative du texte

2.1.1 La mise en intrigue

Pour qu’il y ait du récit, il faut qu’il y ait une mise en intrigue. La dynamique de la mise en intrigue, la manière dont elle arrive à éveiller et surtout à maintenir vivace l’intérêt du

87 Baroni 2007:18.

88 Les italiques sont de nous.

89 Baroni 2007:12,18.

90 ibid. 19.

récepteur explique notre goût pour le récit. La création d’une telle intrigue est un art, l’écrivain devant bien savoir la travailler pour que le lecteur s’intéresse dès le départ à son récit, et pour que cet intérêt soit maintenu jusqu’au final. Ériger une telle architecture possédant ce genre de dynamisme exige de bien connaître les principaux éléments de sa structure. Il existe deux composants essentiels dans la mise en intrigue d’un récit, le nœud et le dénouement.

Une tension interne doit être créée dès l’incipit du récit, entretenue pendant le développement de l’histoire et elle doit trouver sa solution dans la clausule.91 Les deux modalités essentielles de la tension narrative sont le suspense et la curiosité. L’effet de surprise, qui est également une modalité de la tension narrative, sera analysé de plus près dans la partie 2.3.2 qui traitera l’influence du genre feuilleton sur la mise en intrigue de L’affaire Lerouge.

Le nœud et le dénouement sont donc primordiaux : les attentes du récepteur sont orientées vers une résolution promise mais retardée. Ils sont en effet les charnières essentielles de la mise en intrigue : chez le récepteur, la tension narrative créée entre ces deux pôles cause une dysphorie émotionnelle, qui maintient vivace son intérêt, et une euphorie, qui résulte de la résolution de la tension produite par le suspense ou la curiosité. Aussi, pour nouer une intrigue d’une façon efficace, l’écrivain doit-il laisser suffisamment de questions ouvertes et de cette manière construire une ligne de force narrative.92 Afin de concrétiser ces théories, il nous faut les appliquer à notre roman : quels sont les deux pôles essentiels de la narration dans L’affaire Lerouge ?

Le nœud principal dans l’œuvre est le mystère de l’assassinat de la veuve, Claudine Lerouge.

La question que le lecteur se pose sera donc « qui a tué la veuve Lerouge ? » Une autre question posée consiste à en comprendre la cause : « pourquoi ? » Le rôle du lecteur n’étant pas passif, il anticipe et propose des diagnostics dans la perspective de la réponse à sa question, c’est à dire le moment du dénouement. Au début, la situation de conflit, le nœud, suscite donc une attente. Le lecteur ne s’impatiente pas du fait que la réponse à la question, l’identité de l’assassin, n’est pas donnée tout de suite : l’énigme commence, au contraire, à s’ouvrir progressivement et posément pour que la curiosité soit maintenue. Comme L’affaire Lerouge a pour cadre éditorial le roman-feuilleton, cet espace d’attente se trouve comblé par

91 Baroni 2007 : 40–41.

92 ibid. 13,65,67.

diverses péripéties, des secrets passés exposés au public.

Le lecteur est encouragé dans son attente du dénouement par diverses stratégies qui conservent son intérêt envers le récit. Comme exemple typique pour un récit d’énigme, Gaboriau utilise entre autres l’anachronie par rétrospection en tant que tecnique narrative déstinée à produir certains effets. Ces analepses ont souvent une valeur explicative : éclairer le passé d’un personnage ou raconter – après une entrée in medias res – ce qui a précédé. Le jeu avec l’ordre dans lequel l’histoire est racontée dans la narration a de multiples fonctions, par exemple faire monter l’angoisse chez le lecteur en lui dévoilant à l’avance un moment ultérieur inquiétant ou exciter sa curiosité en lui dissimulant des événements antérieurs.93 Les anachronies narratives permettent de même la mise en relief de certains faits. Chez Gaboriau, la situation de conflit au début du récit, l’assasinat de Claudine Lerouge, ne suit pas l’ordre chronologique des événements. Le nœud est présenté de manière à éveiller la curiosité.

Les anachronies ont donc un rôle vital au niveau de la mise en intrigue.

Baroni constate que les romans qui jettent leur lecteur in medias res de l’histoire laissent fréquemment un ou plusieurs éléments importants stratégiquement dans l’ombre de manière à structurer un épisode de l’intrigue. Le lecteur est donc poussé à progresser dans le récit de manière à compléter son compréhension de celui-ci. Les énigmes sont des incertitudes textuellement générées, stratégiquement entretenues et finalement résolues par la narration.94 Cette tension narrative, ou la dynamisme de l’intrigue, est liée à la construction du code herméneutique du récit. Dans L’affaire Lerouge, Gaboriau utilise consciemment la méthode de la réticence d’information : la mise en intrigue avec la structure du récit, le système des personnages, le dialogue et le narrateur fonctionnent tous comme composants de l’histoire pour distribuer ou dissimuler le savoir, parfois pour égarer le lecteur, pour le conduire sur de fausses pistes, et parfois pour lui donner l’information nécéssaire qui lui remet sur la bonne voie. Nous analyserons tous ces composants tour à tour pour mieux comprendre les stratégies utilisées par l’auteur dans la construction de la tension narrative à l’aide du code herméneutique.

L’incertitude créée chez le lecteur par la narration s’achèvera au moment du dénouement,

93 Reuter 2005a :63-64.

94 Baroni 2007 :217.

quand le coupable et son mobile seront dévoilés : Noël Gerdy, au moment de son arrestation, se suicide dans une scène vers laquelle le lecteur est amené dans les pages précédentes avec un accroissement de l’effet du suspense. Celui qui a commit le crime meurt. Son châtiment permet ainsi le traditionnel moment de la « réconciliation » finale.

Avant de nous concentrer sur l’analyse de la structure générale de l’œuvre rythmée par la dynamique de la mise en intrigue, nous analyserons un extrait du texte de L’affaire Lerouge dans le but de concrétiser les techniques utilisées par Gaboriau pour créer de la tension narrative dans quelques paragraphes choisis du texte.